Comment Ben Youssef a été assassiné

Comment Ben Youssef a été assassiné

 


Le Nouvel Etat. Tome 3, aux éditions Dar el Amal

Par deux fois, la première en janvier 1957 et la deuxième en novembre 1958, Salah Ben Youssef fut condamné à la peine capitale. Deux lettres… écrites l’une et l’autre de sa propre main, établissent pour l’histoire que le bras qui s’était tendu vers lui, le 12 août 1961, n’était autre que celui qu’il croyait pouvoir diriger contre l’homme qu’il poursuivait de sa haine.

De la lecture de ces lettres, il ressort clairement que Ben Youssef était, à l’époque, en train de préparer un nouveau complot… Son plan consistait, cette fois, à fomenter un coup d’Etat militaire. Et, comme toujours, l’objectif prioritaire assigné aux conjurés était d’abattre Bourguiba.

D’autres indications apparaissent à travers ces deux lettres, permettant de faire le point sur l’alliance qu’il avait contractée, au départ, avec la révolution algérienne et le régime nassérien. Les appréciations portées dans sa lettre du 28 février sur l’ensemble des dirigeants algériens le montrent non seulement en rupture avec le G.P.R.A. mais aussi en train de comploter contre lui avec quelques-uns des officiers de l’A.L.N relevés de leur commandement. « Les Algériens, écrit-il, sont tous mauvais. À l’exception de… tous les autres ne valent rien. Ils sont tous vendus à Bourguiba… Par contre, les recommandations faites à son correspondant de se rendre à Bonn pour « se faire remettre l’équivalent de mille livres égyptiennes », ou encore de venir le voir au Caire en secret, sans que son passeport tunisien puisse mentionner son voyage en Egypte », et bien d’autres allusions aux « moyens sûrs », par lesquels il lui ferait parvenir ses instructions, confirment, au besoin, qu’il avait la couverture diplomatique du Caire et son appui financier… Seulement, ce que Ben Youssef ne savait pas, c’est que les officiers tunisiens sur lesquels il comptait pour réaliser son coup d’Etat militaire, n’existaient que dans l’imagination de son correspondant, un Tunisien établi à Helsinki, du nom de Mohamed Rezgui. De plus… Ben Youssef ignorait que son correspondant n’était entré en contact avec lui depuis octobre 1958 que pour le sonder sur ses intentions et en informer Taïeb M’hiri, à l’époque ministre de l’Intérieur. De sa propre main, dans sa lettre du 16 avril 1961, il s’était bien ouvert à son correspondant de son projet criminel et du choix des armes qu’il conseillait aux conjurés: le « poison » ou bien un « silencieux »…

Les « officiers » qui tenait tant à rencontrer à Francfort, pour arrêter avec eux les derniers préparatifs du coup d’Etat, seront munis d’un « silencieux ». Le rendez-vous était fixé pour fin mai 1961. Mais si rien ne se produisit, Ben Youssef, bout du fil, se refusa à répondre au mot de passe convenu avec son correspondant d’Helsinki. Invité à élucider le mystère. Mohamed Rezgui se rendit, le 29 mai, auprès de Ben Youssef pour découvrir à quel point ce dernier était consterné de n’avoir pu rencontrer « ses deux officiers ». La raison était qu’au moment où il reçut leur appel téléphonique, il avait à ses côtés des personnes dont il ne voulait pas éveiller l’attention c’étaient, outre son épouse et son frère Ali, deux de ses anciens complices, condamnés comme lui à mort par contumace, Abdelaziz Chouchane et Mohamed Abdelkéfi(l). Ce n’était, donc, que partie remise. Plus de deux mois ayant été nécessaires pour convenir d’une nouvelle rencontre, celle-ci eut lieu, en pleine guerre de Bizerte… Dans le témoignage écrit qu’il nous a remis pour l’histoire, sur les contacts qu’il a pris avec Ben Youssef depuis 1958, Mohamed Rezgui fait état de la conversation qu’il a eue avec lui, après le déclenchement de cette guerre : «C’est un autre coup pour moi, dit Ben Youssef, Bourguiba m’a volé mon programme… Il faut que notre programme continue. Il faut renverser ce régime…»(2). De ses conversations avec Taïeb M’hiri, à la même période, Mohamed Rezgui rapporte : « La guerre de Bizerte ne doit rien changer. Ce pays doit se libérer des Français et de Salah Ben Youssef. Tout marche ensemble »(3)… Le 12 août 1961, les deux militants requis pour cette opération débarquèrent à Francfort. Ben Youssef, était au rendez-vous. Il paraissait même les attendre impatiemment lorsqu’il reçut, en début d’après-midi leur appel téléphonique. De Wisbaden où il se trouvait, il sauta dans sa voiture et se rendit à l’« hôtel Royal ». Arrivé à 17 heures 15, il eut hâte de les entendre exposer leur plan pour réaliser leur coup d’Etat. Mais ses interlocuteurs ayant objecté qu’ils ne pouvaient parler d’une question aussi grave dans un hall d’hôtel, il accepta de monter avec eux dans leur chambre. Une fois installé dans un fauteuil, sa première question fut : « Dites-moi, d’abord, comment comptez-vous vous y prendre pour liquider Bourguiba ? » -II n’y a rien de plus simple, répondit l’un d’eux, voilà comment ! Et joignant le geste à la parole, il sortit son « silencieux » et lui tira une balle dans l’oreille.

Il était 17 heures 30. C’était la fin de Ben Youssef.

 


(l)Respectivement en 1959 et en 1957.

(2)Ces propos ont été tenus par Ben Youssef, le 4 août 1961.

(3)Réflexions faites par Taïeb Mhiri devant Mohamed Rezgui, le 19 juillet 1961.


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