Mise au point du Dr Amor Chedli sur la santé de Bourguiba

Le Pr. Amor Chadli répond au Dr Ezzedine Gueddiche qui prétend que Bourguiba étaient malade depuis 1945

 

Si l’on veut revenir sur la question de la santé de Bourguiba, 27 ans après qu’il ait quitté le pouvoir et 15 ans après son décès, il faudrait pour être crédible, se baser sur des faits concrets, tels que les attestations des personnalités médicales qui l’avaient examiné et non sur des déclarations gratuites.

… II est également possible de consulter les personnes avec lesquelles le Président avait été en rapport étroit et  leur demander s’ils  avaient  constaté  de  l’incohérence  dans  son comportement ou dans ses paroles…

En ce qui me concerne, en dehors des périodes où Bourguiba avait été intoxiqué par une médication inadaptée à son besoin de sommeil, ou celles, passagères, où il se plaignait de douleurs dentaires ou de sa main, je n’ai jamais remarqué un trouble quelconque ou une anomalie dans son comportement ou dans ses propos. J’estime, d’ailleurs, que s’il a survécu en bonne santé pendant plus de trente ans après ses deux affections cardiaque et hépatique, il le doit à sa grande résistance physique.

Il me paraît également important de rappeler certains témoignages dignes de foi, tel celui du premier ministre français Raymond Barre qui, à la suite des informations contradictoires qui parvenaient de Tunis au lendemain du 7 novembre 1987, a déclaré que lors de sa récente entrevue avec le Président, celui-ci avait « sa pleine lucidité ». Ou le témoignage de l’ancien premier ministre Bahi Ladgham qui, après sa visite en 1989, a déclaré : « II n’a pas changé depuis notre dernière rencontre en 1986. J’ai même l’impression gué ses défauts d’élocution ont disparu ». Ou encore celles des personnalités tunisiennes et étrangères qui ont été autorisées à lui rendre visite pendant sa captivité en résidence surveillée, de 1987 à sa mort en l’an 2000. Ces témoignages figurent dans les journaux de l’époque.

Aujourd’hui, beaucoup d’acteurs politiques et de chefs de parti se réfèrent aux options du Néo-Destour et au bourguibisme pour retrouver la voie de la bonne gouvernance. Dans le même temps certaines personnes qui n’ont pas ou peu côtoyé le Président prétendent qu’il était malade. C’est une constante de notre époque. Dès qu’une personne s’impose par sa notoriété ou son talent politique, les rumeurs sur sa santé, ses mœurs ou son passé se multiplient et trouvent partout des oreilles complaisantes. « L’homme est ainsi fait, les fictions l’impressionnent plus que la réalité », disait Erasme, l’écrivain humaniste hollandais du 16e siècle. D’ailleurs, pour certains psychiatres, Victor Hugo, John Kennedy, Hector Berlioz, Honoré de Balzac, Winston Churchill et beaucoup d’autres souffraient de troubles bipolaires. Ces mêmes psychiatres reconnaissent également qu’il n’existe pas, comme c’est le cas pour d’autres maladies, de tests sanguins ou d’autres examens qui permettent le diagnostic de cette affection avec certitude.

Peut-on considérer que «l’état de santé du Président ne lui permettait pas d’exercer les fonctions inhérentes à sa charge », lorsque, en 1985, à la suite du bombardement de Hammam Chott par Israël et l’aval de l’Amérique qui estimait qu’Israël avait le droit de se défendre, il a convoqué l’ambassadeur d’Amérique pour lui signifier que si son pays opposait son veto à la plainte de la Tunisie au Conseil de Sécurité, il romprait ses relations avec l’Amérique ? Pour la première et l’unique fois, Israël a été condamnée par les Nations Unies.

Peut-on considérer que « / ‘état de santé du Président ne lui permettait pas d’exercer les fonctions inhérentes à sa charge », lorsqu’en octobre 1987, il a chargé son Ministre des Affaires étrangères qui devait le représenter au sommet des chefs d’États arabes à Amman, le 8 novembre 1987, de s’opposer à l’admission de l’Egypte au sein de la Ligue arabe tant que le drapeau d’Israël flotterait sur le Caire. La décision de Bourguiba aurait mis Israël en difficulté, au milieu d’un monde arabe hostile, ce que ni Israël, ni son principal allié, l’Amérique, ne pouvait accepter. Aussi, la veille de la réunion du sommet d’Amman, c’est-à-dire le 7 novembre 1987, Ben Ali accaparait le pouvoir et dépêchait un nouveau ministre des Affaires étrangères qui s’aligna sur la position des autres pays arabes. Du coup, l’Egypte retrouvait sa place au sein de la Ligue arabe, laquelle quittait son siège à Tunis pour se réinstaller au Caire.

Il me revient qu’on est allé jusqu’à prétendre que j’avais caché la vérité sur l’état de santé du Président. Il faut être naïf ou mal intentionné pour avancer de tels propos, étant donné que le Président était un personnage public qui recevait quotidiennement, jusqu’à la veille du coup d’Etat, les membres du gouvernement, les membres du parti et des visiteurs et que tout ce qui le touchait s’étalait au grand jour.

Il est tout de même paradoxal de voir quelqu’un, accuser d’avoir été malade depuis 1945, le maître d’œuvre de la lutte pour la libération, l’homme qui a fait de l’instruction et de l’éducation de tous et de toutes le facteur du progrès et du rayonnement du pays. Une telle accusation, faite par un médecin qui, n’a été associé à l’équipe médicale du Président que pendant 9 jours, soit du 27 mars au 4 avril 1979, et qui, sans même l’avoir examiné le 7 novembre 1987, s’est permis déjuger « que son état de santé ne lui permettait pas d’exercer les fonctions inhérentes à sa charge » est, pour le moins, contraire à toute éthique médicale.

 

 

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