Gafsa : Amor Chedli témoigne

La rébellion à Gafsa 

 

La rébellion de Gafsa fut rapidement mâtée par l’armée qui avait été appelée, pour la deuxième fois, à quitter ses casernes pour rétablir l’ordre. Cependant, cette affaire était d’autant plus sérieuse que le commando était resté caché pendant près de trois semaines à Gafsa avant l’attaque et avait donc bénéficié de la complicité de certains habitants. L’enquête, en effet, a révélé qu’au cours du mois de janvier, des camions venus d’Algérie ont pénétré dans la ville de Gafsa pour apporter des ravitaillements dans une villa située en pleine ville et qu’une femme âgée, qui habitait près de cette villa, avait majoré d’une manière inconsidérée ses achats quotidiens de pain. Le Président avait également été informé que des éléments algériens étaient impliqués dans ce raid. Ne voulant pas attaquer sur deux fronts, il envoya un émissaire au président algérien, Chadli Ben Jedid, qui déclara n’être au courant de rien. Par contre, le Président accusa publiquement Gaddafi qu’il critiqua sans ménagements.

Pour mieux saisir les dessous de cette agression, je rapporte ci-après les déclarations de Gaddafi à ce sujet :

Certes, le commando tunisien armé est parti de chez nous, le financement et les armes ont été fournis par des Libyens. Là s’arrête notre responsabilité et je reconnais volontiers qu’elle est sérieusement engagée. Mais il est injuste de dire que nous sommes à l’origine de cette affaire. L’instigateur, celui qui a voulu qu’elle existe et m’a demandé mon aide, c’est Boumediene. Il est mort, mais ses collaborateurs qui ont organisé l’affaire avec nous sont bien vivants. Je suis tellement excédé de voir que l’on ne parle que de nous dans cette affaire que je vais – pour la première fois – donner les noms et les circonstances. Boumedienne est rentré un jour furieux de Tunis. Ce devait être en janvier 1978. Il avait eu une altercation avec le Premier ministre de l’époque, Hédi Nouira et le ministre de la défense, Abdallah Farhat. Je pense qu’ils ont refusé de condamner, comme il le leur demandait, l’intervention des Jaguars français au Sahara et aussi de décommander la visite du chef d’état-major français en Tunisie. Je sentais au téléphone que Boumediene était mû par une rage froide. Sa voix tremblait. Il était question de leçon à donner, de montrer que l’on ne résistait pas impunément à sa volonté. Il m’a dit : «Je t’envoie trois collaborateurs de confiance. Mets en face d’eux des gens de même niveau pour monter une opération. Il faut faire trembler la Tunisie et tomber Nouira. Je m’occuperai de la partie politique et nous en reparlerons…» C’est Slimane Hoffmann, le docteur Taleb Ibrahimi et un troisième homme dont j’ai oublié le nom qui sont venus me voir de la part de Boumediene. J’ai eu tort d’accepter de fournir l’intendance de l’opération. Le docteur Taleb Ibrahimi est celui-là même, je crois, que le gouvernement se propose d’envoyer à Tunis comme ambassadeur.  »

Une autre information confirmait le rôle primordial de l’Algérie dans l’attaque de Gafsa. Elle m’a été rapportée par un ami intime de Azzedine Azzouz  : des responsables algériens avaient proposé à Azzedine Azzouz, vers la fin du mois de décembre 1979, le poste de ministre de la Défense en Tunisie, au cas où un événement arriverait à changer le régime dans le pays. Étonné par une telle proposition, Azzedine Azzouz en informa le ministre de l’Intérieur, Othman Kechrid. Au lieu d’accentuer la surveillance aux frontières et d’engager une enquête, ce dernier chargea les services de la Sécurité nationale de cette affaire. Azzedine Azzouz fut mis sous bonne surveillance. L’attaque de Gafsa eut lieu le 27 janvier 1980.

Ce n’est que bien après le 7 novembre 1987, que j’appris, de la bouche même de Othman Kechrid, les détails de la mésaventure de Azzedine Azzouz avant l’attaque de Gafsa. Vers la fin du mois de décembre 1979, une audience auprès de Othman Kechrid, ministre de l’Intérieur, fut sollicitée par Kaies Azzouz. Ce dernier informa le ministre que son père, Azzedine Azzouz, désirait le rencontrer pour une affaire très urgente. Un rendez-vous fut fixé au ministère de l’Intérieur, le lendemain à 9 heures. Azzedine Azzouz se présenta au lieu et à l’heure fixée et relata à Othman Kechrid que la veille, il avait été contacté par Sliman Hoffman qui lui avait demandé de le rejoindre immédiatement à Genève. Le ministre appela alors Zine Ben Ali, directeur de la Sécurité nationale et lui recommanda de mener une enquête sur cette affaire, puis Zine Ben Ali et Azzedine Azzouz quittèrent le bureau ministériel. Après les événements de Gafsa du 26 janvier 1980, Othman Kechrid apprit que Zine Ben Ali n’avait pas trouvé mieux que de mettre Azzedine Azzouz sous écoute, puis de l’incarcérer pendant une semaine. Il reconnaît aujourd’hui, que son tort a été de ne pas avoir assuré le suivi de l’enquête dont il avait chargé le directeur de la Sûreté. En tout état de cause, il est difficile d’admettre que le directeur de la Sécurité nationale ait considéré comme négligeables les informations fournies par Azzedine Azzouz, au point de ne pas donner suite à l’enquête dont l’avait chargé son ministre. Il est également peu plausible qu’il n’ait pas été informé par la police locale des activités inhabituelles qui se déroulaient au cours du mois de janvier à Gafsa, alors même que la présence de Bourguiba à Nafta, imposait une vigilance accrue dans le Sud tunisien.

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