Après le malaise : Habib Bourguiba Jr

Après malaise

Habib Bourguiba Jr

« Notre Histoire », Edition CERES

 

…H.B. jr : Oui en juin 1970, à l’heure du grand virage « post-coopérativisme », je me vis chargé du ministère de la Justice pour une courte durée, jusqu’à fin octobre 1970.

Je m’étais rendu à Libreville, capitale du Gabon, pour participer à une réunion des ministres de la Justice des pays francophones d’Afrique. La veille de cette réunion, je me suis senti très mal à l’aise. C’était une espèce de pincement du plexus ; plus tard j’ai baptisé ce malaise du nom de « l’araignée ». J’avais besoin de traîner le matin dans mon lit alors que de nature, je suis un lève-tôt. Je me demandais ce que j’étais venu faire ici, si loin de Tunis et des miens… Je réalisais alors que je tombais en « déprime » ! Sans perdre de temps, j’ai envoyé une lettre d’excuses au président de la réunion, réservé un siège dans le premier avion pour Paris et téléphoné à Tunis, à ma femme et au Docteur Azzedine M’barek, médecin psychiatre et camarade de classe, pour que celui-ci prenne contact avec son patron et me fasse admettre dans la clinique de « Bel Air » à Genève qu’il dirigeait. C’est ainsi que je n’ai fait qu’ne escale de 48 heures à Tunis, du 30 novembre au 1er novembre 1970, avant de repartir pour Genève.

…Je partis le lendemain pour Genève où, comme par un hasard du destin, je fus accueilli par Mohamed Sayah.

…Il m’a accompagné de l’aéroport à la clinique où il vint me voir de temps en temps, sur autorisation du Docteur Julian de Ajuriaguerra. Ma femme ne fut pas autorisée à être près de moi ; les médecins tenant à me couper de mon environnement habituel. Cette « coupure » était en elle-même l’amorce d’une cure qui a débuté par un traitement assez brutale ; une « cure de détente profonde » au lieu des cures prolongés de sommeil. Hormis les matinées et les débuts de soirée où je pouvais vaquer à mes occupations, le reste du temps j’étais comme absent, un peu dans les « vapes ».

…Ma vraie cure, organique et morale, commença : des perfusions quotidiennes d’antidépresseurs et des entretiens informels, à bâtons rompus, avec mes médecins, avec lesquels se sont établies des relations de confiance, voire d’amitié. Le reste du séjour, je fréquentais l’atelier d’ergothérapie, m’appliquais au dessin, cuisais des émaux sur cuivre que de découpais à partir de mes dessins.

…Durant cette « convalescence », j’observais, je flânais, je méditais ; une parenthèse rare, mais ô combien indispensable, durant laquelle on essaye d’échapper au destin pour se retrouver et se reconstruire un peu soi-même. Mais dès mon retour à Tunis, j’ai éprouvé le choc de retrouver mon père totalement replongé dans sa maladie.

…Ma femme et moi décidâmes de nous défaire de notre villa de Notre-Dame. J’eus l’idée, depuis Genève de la proposer à mon ami Ardeshir Zahedi, que j’avais connu en tant que collègue à Washington DC, puis à la tête des Affaires étrangères iraniennes. Il connaissait la maison, pour y avoir logé durant la visite officielle que nous fit le Shah d’Iran. Il me comprit à demi-mot et me pose une seule question : « Quel est le montant que tu en attends ? » Je lui dis le montant du crédit réclamé par la banque. Il me répondit immédiatement : « Dans deux semaines des techniciens seront à Tunis pour l’évaluer » et « un peu moins que cela, c’est plus sage. » L’on n’oublie jamais un tel geste et l’on en apprécie d’autant plus un ami.

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