DJERBA : une union avortée

DJERBA : une union avortée

 

Tahar Belkhodja

Les Trois décennies Bourguiba

 

…Le 10 décembre 1958, à Dhibet, à l’extrême Sud du pays, Bourguiba proclamait textuellement : «…Nous sommes aux frontières libyennes, c’est un Etat ami, constitué de son côté et du nôtre comme un seul peuple lié par des relations anciennes et solides… Nous sommes tout espoir de l’approche du jour où les frontières artificielles disparaîtront, et nous deviendrons un seul pays, un seul Etat. Notre police et notre armée seront unies, avec un seul drapeau qui flottera au dessous de nous… Seulement, notre séparation depuis plusieurs siècles avant et après la colonisation, créa des orientations différentes et des intérêts contradictoires. C’est pourquoi il faut continuer notre démarche, pas à pas, jusqu’à ce que l’Union s’achève d’une façon naturelle sans peur d’aucune hégémonie…»

A Sfax, le même mois, il le confirmera : «Le peuple Libyen et le peuple tunisien constituent presque un seul peuple, et nous nous considérons comme une seule partie du Grand Maghreb Arabe. Et j’espère donc instituer un seul pays, un seul Etat, un seul drapeau et un

Le 15 décembre 1972, Il commence par un hommage à la Tunisie qu’il présente, comme ayant été, depuis des siècles, un bastion de l’arabisme. Puis, il enchaîne : “Les luttes de libération nationale doivent maintenant déboucher sur un combat pour l’édification d’une nation arabe unifiée, du Golfe à l’Atlantique. Les dirigeants doivent répondre aux aspirations des masses, et les monarchies sont moins à même de le faire que les régimes républicains qui doivent savoir briser avec le passé. En Tunisie, la frontière de la Libye est artificielle, elle a été inventée par le colonialisme (…) Le monde arabe doit répondre au défi de certaines puissances étrangères, au premier chef les Etats- Unis”. Seule police… L’unité sera faite en son temps, et il faut que le temps fasse son œuvre».

…Bourguiba décide d’aller porter la réplique. Il noue mal ses chaussures, monte dans une voiture de police et entre en trombe au Palmarium, à la stupéfaction générale.

…“L’unité arabe ? D’accord sur l’objectif final, mais la réalisation exige des délais (…) En 1967, quatre pays arabes ont été écrasés par Israël. La raison ? Les différences de niveau entre les civilisations, surtout dans le domaine technologique (…) Et nous lançons des défis ! Et nous voulons défier l’Amérique !(…) Le Président Kaddafi est venu ici préconiser l’unité arabe et va jusqu’à me proposer la présidence d’une République commune. Son dévouement et sa sincérité ne sont pas en doute, mais il manque d’expérience. On peut, certes, concevoir une unité entre nos deux pays, mais toute action improvisée se solderait par un échec (…)”.

…Déclaration, écrite de la main de Kaddafi et dont voici l’essentiel : “Les deux pays formeront une seule république : la République arabe islamique, dotée d’une seule constitution, d’un seul drapeau, d’un seul président, d’une seule armée et des mêmes organes exécutif, législatif et judiciaire. Un référendum sera organisé le 18 janvier 1974”.

…Pour Libération : «l’accord du 12 janvier, c’est l’après-bourguibisme(…). Masmoudi plus Kaddafi, ne serait-ce pas la solution de trouver l’introuvable, le fédérateur panarabe?»

…Le quotidien français, Les Echos est très clair : «En tant que formule associant un grand producteur de pétrole, riche en denrées et pauvre en hommes et en terres à un pays fertile, dense et disposant d’élites bien formées, la fusion Libye-Tunisie n’a rien d’aberrant».

D’après le New-York Times : «Contre la complémentarité économique des deux pays, cette union pourrait éviter les tensions et conflits à travers le monde arabe où coexistent des régions d’extrême aisance et de faible densité avec des régions aux populations chroniquement appauvries».

le Conseil de la révolution algérienne, déclare : “L’Union hâtive et artificielle restera sans lendemain. Les modifications géopolitiques dans la région ne sauraient se passer des indispensables consultations préalables, franches et loyales, entre tous les pays voisins».

Le Maroc considère que : «toute précipitation ou improvisation est de nature à priver l’unité souhaitée des chances de succès, et risque même de conduire à l’échec certain». Hassan II avait envoyé deux émissaires à Alger.

…Dans un entretien au Monde, Hédi Nouira nuance un peu plus ses propos : “Pour moi, la déclaration de janvier est la proclamation d’un idéal, l’affirmation d’un principe, la définition d’un objectif (…). Une union avec la Libye peut être fructueuse, mais nous ne courons pas la dot (…). Il faut continuer à créer des œuvres communes, notamment dans le domaine économique jusqu’au moment où il ne restera plus qu’à mettre sur l’édifice le chapeau constitutionnel de l’unité”.

Bref, c’est la grande confusion : on est bien loin de l’union proclamée avec son gouvernement déjà constitué. Tout le monde commence à comprendre que le projet est mort-né, et qu’on cherche seulement des subterfuges pour justifier politiquement notre reniement.

…Nous signons, Taher Chérif et moi même le communiqué suivant : “Dans le souci de renforcer les relations de bon voisinage et de coopération entre les deux pays frères, les gouvernements libyen et tunisien ont décidé d’un commun accord de soumettre le problème de la délimitation du plateau continental à la Cour internationale de justice pour qu’elle tranche sur cette affaire. Dans l’intervalle, les consultations se poursuivront entre les deux parties en vue de trouver une formule transitoire pour exploiter en commun la zone du plateau continental en litige dans un cadre qui sera déterminé de concert par les deux parties, lesquelles s’engageront en outre à appliquer le jugement que rendra la Cour internationale de justice”.

Le 24 février 1982, l’arrêt de la Cour, comprenant 94 pages, fut rendu. Il était favorable à la thèse libyenne, le vote fut acquis par 10 voix contre 4. La ligne de démarcation partait de Ras Jedir à un angle de 26 degrés environ avec le méridien. Ainsi, la quasi- totalité des gisements de la zone litigieuse passait du côté libyen. Selon la Cour, le comportement des parties, depuis 1955, avait dessiné une limite séparant de facto les zones des concessions ; le dernier était celui du permis off shore du golfe de Gabès octroyé par la Tunisie le 21 août 1966, et dont les limites sud-est respectaient la ligne de l’angle de 26 degrés…

La Cour rejeta la thèse tunisienne concernant nos droits historiques, et approuva celle de la Libye qui se référait à une délimitation effectuée à la veille de la première guerre mondiale par le gouvernement italien pour la surveillance de la pêche dans les eaux de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque. Cette ligne, devenait pour la Cour la véritable “frontière maritime entre les deux Etats”.

 

1 – Déclaration de Djerba

Au nom de Dieu clément et miséricordieux.

A une heure décisive, à un moment où les défis se multiplient, en un jour dont le souvenir sera impérissable, conscient du poids des responsabilités historiques qui lui incombent, le Combattant suprême, répondant à l’appel en faveur de la lutte pour la libération des territoires arabes et islamiques, a signé avec le colonel Mouamar Kaddafi la proclamation de l’union de la Tunisie et de la Libye arabes sur la base des principes constitutionnels en vigueur dans chacun des deux pays.

Les deux pays constitueront une seule République qui prendra le nom de République arabe islamique.

Elle aura une seule constitution, un seul drapeau, un seul président, une seule armée, les mêmes pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

Un référendum sera organisé à cet effet le 18 janvier 1974.

Signé :                                                                                                           Signé :

Habib BOURGUIBA                                                                           Mouamar KADDAFI

 

2 – Organes de l’Union

  1. Conseil du peuple : où seront représentés les gouvernorats des deux pays par un nombre égal de représentants.
  2. Drapeau : l’étoile et le croissant tunisiens au milieu du blanc, puis le rouge et le noir.
  3. Capitale : la capitale d’hiver : Tripoli, d’été : Carthage. L’Etat aura également une capitale honorifique : Kairouan.

– Gouvernorat de Gadamès : comprendra le sud du gouvernorat de Médenine.

– Gouvernorat de Bengardane : comprendra l’ouest du gouvernorat de Zouara.

 

Signé :                                                                                                           Signé :

Habib BOURGUIBA                                                                           Mouamar KADDAFI

 

 

3 – Gouvernement de l’Union (Les noms libyens sont en italique)

Président Habib Bourguiba Président de la République

et Commandant suprême des forces armées

Colonel Mouamar Kaddafi    Vice-président de la République

et chef d’Etat-major général des forces armées

Hédi Nouira                          Vice-président de la République

Cdt Abdesselem Jalloud      Premier ministre

Mohamed Masmoudi           Vice-Premier ministre,

Ministre des Affaires étrangères

Cdt Khouildi Lahmidi            Ministre de l’Intérieur

Tahar Belkhodja                   Ministre de la Défense

Mohamed Bellalouna           Ministre de la Justice

Izzedine Mabrouk                Ministre du Pétrole

Dhaoui Hannabila                Ministre de la Réforme agraire

Mohamed Ali Tabbou           Ministre de l’Agriculture

Chedli Ayari                          Ministre de l’Economie nationale

Mohamed Zarrouk Rejeb     Ministre du Trésor

Mohamed Mzali                   Ministre de la Santé

Ladallah Azzouz Talhi          Ministre de l’Industrie

Driss Guiga                          Ministre de l’Equipement

Abdelkrim Fathallah Ballou  Ministre du Plan

Lassaad Ben Osman           Ministre des Transports

Taha Ben Ameur                  Ministre des PTT

Mahmoud Messaadi            Ministre des Affaires culturelles

Abuzid Dourda                     Ministre de l’Information

Fouad Mbazaa                     Ministre de la Jeunesse et des sports

Dr Mohamed Cherif             Ministre de l’Education

Farhat Dachraoui                 Ministre des Affaires sociales

Abdelmajid Gouroud            Ministre du Développement agricole

Mansour Moalla                   Ministre de la Coopération

Abdelati Labidi                     Ministre du Travail

Mohamed Mankouch           Ministre de l’Habitat

Slahededdine Bali                Ministre des Habous

Aboubaker Cherif                 Ministre du Commerce

Mohamed Fitouri                  Ministre d’Etat

Sadok Abou Argoub              Ministre du Service civil

Mahmoud el-Ghoul               Ministre des pêches

Aboubaker Younes               Lieutenant-colonel Chef d’Etat Major

Zine El-Abidine Ben Ali         Lieutenant-colonel Chef du Deuxième bureau

Abdelmoueim El-Houni        Chef des renseignements généraux

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