Le protectorat et la guerre

Le protectorat et la guerre

 

Le gouvernement nazi avait pris soin, dès 1933, de ménager et de flatter les pays arabes musulmans. Il pouvait d’autant mieux le faire qu’Hitlier situait la conquête de nouveaux espaces pour l’Allemagne en Europe de l’Est. La mobilisation du nationalisme arabe ne le de ces peuples. En 1938, un comité pour la défense de la Tunisie vit le jour à Berlin, parallèlement au comité de défense du Maghreb arabe et au comité des réfugiés politiques l’Afrique du Nord. Tout au long de l’année suivante, l’Allemagne multiplia les gestes amicaux à leur égard. Pendant la guerre cependant, le gouvernement allemand dut tenir compte de la contradiction fondamentale existant entre les amibitions italiennes et les revendications nationalistes. Il ne put donc aller très loin dans la voie des promesses et des engagements, malgré les demandes insistantes dont il était l’objet. En janvier 1941, le grand mufti de Jérusalem, Amîn al Huseîni assura Hilter que les peuples arabes étaient prêts à se révolter, à condition que l’Allemagne et l’Italie reconnaissent leur droit à l’indépendance. Or l’Afrique, spécialement l’Afrique méditerranéenne, constituait le domaine réservé à l’influence de pouvait donc souscrire à une telle déclaration. Le 18 novembre 1942, le grand mufti revient à la charge et demanda la libération des Destouriens emprisonnés et l’indépendance des peuples du Maghreb. Il récidiva encore une fois en janvier 1943 dans une déclaration : « C’est en reconnaissant l’indépendance du Maghreb que l’Axe accélérera l’effondrement de la base sur laquelle les Alliés ont établi leurs plans de guerre ».

Mais la réponse allemande resta la même : « L’Afrique du Nord et en particulier la Tunisie appartiennent à la sphère d’intérêt de notre alliée l’Italie ». Utilisant toutes les possibilités, les Germano-italiens libérèrent les chefs destouriens internés en France afin d’essayer d’obtenir leur concours. Mais Bourguiba, connaissant les visées italiennes, réclama « préalablement à toute négociation », la reconnaissance de l’indépendance tunisienne.

L’Allemagne réussit cependant à développer une propagande efficace contre la France. Pour atteindre des populations faiblement alphabétisées, elle s’appuya essentiellement sur la radio. Bien qu’il existât peu de postes dans le pays, le relais des émissions était assuré dans les lieux publics, par les conservations, les histoires des conteurs, les récits des marchands ambulants. A partir du mois d’avril 1939, les émetteurs de Radio-Berlin et de Radio-Stuttgart diffusèrent vers le Maghreb et le Proche-Orient des bulletins d’informations et de commentaires en arabe et en français. Des causeries recouvraient de violentes diatribes anti-anglaises et antifrançaises et insistaient sur la situation d’asservissement des populations musulmanes par le fait du colonialisme français, sur la nécessité de refuser une guerre qui ne les concernait pas. « Nous vous demandons comment les Musulmans pourraient aider la France, alors que celle-ci ne leur accorde aucun droit et les considère comme des êtres inférieurs » (4 décembre 1939). « Qu’est-ce qui justifierait le prétendu loyalisme des Maghrébins ? Est-ce l’état lamentable des populations ? Ne défendez pas ceux qui vous persécutent, qui vous plongent dans la misère… ». Les fêtes religieuses développaient l’exaltation : «Nous allons prier ensemble pour que l’Allemagne soit victorieuse… ». A partir d’avril 1940, la propagande s’accentua en raison de l’imminence de l’offensive allemande contre la France : « Dieu envoie les Allemands pour vous venger de ces Français » (28 avril 1940). « Votre délivrance est très parler de cette France » (21 mai 1940). « La France est perdue ! chers frères maghrébins, dîtes vous-mêmes : Maudit soit ce peuple ! Que Dieu le maudisse ici-bas et dans l’autre monde ! ». A la suite de la défaite et au lendemain de l’armistice, le grand conseil de Tunisie, sections française et tunisienne confondues, fit part au résident général et que-delà au gouvernement, de son attachement indéfectible à la France. Mais il est certain que les événements du printemps 1940 portèrent un coup sérieux au prestige et à la position de la France en Tunisie. La croyance dans la victoire allemande, que celle-ci apporterait l’indépendance, que la défaite de la France était un châtiment de Dieu, se répandirent largement. Ces sentiments se manifestèrent pendant le temps de la présence allemande en Tunisie de novembre 1942 à mai 1943. Les rapports le soulignent : « L’occupation germano-italienne de Tunis porte dans tout le pays un coup mortel au prestige de la France… Ajoutons qu’une partie importante de la bourgeoisie s’était laissé prendre pendant ces derniers mois, au mythe de l’invincibilité allemande. Des jeunes intellectuels fidèles à Bourguiba avaient des relations étroites avec les agents allemands ». Le 15 mars 1943, un destourien s’adressait à ses compatriotes en ses termes : « Nous souhaitons de tout notre cœur une victoire de l’Axe, car elle permettra aux Arabes de réaliser leurs aspirations vers la liberté et le bien-être dans leur pays ». Malgré les avertissements d’Habib Bourguiba, un certain nombre de membres et de dirigeants de son campagne de Tunisie. « L’Allemagne ne gagnera pas la guerre avait-il pourtant écrit le 8 août 1942, elle ne peut plus la gagner ; le temps travaille contre elle et elle sera mathématiquement écrasée. Dans ces conditions, voici comment vous devez procéder : donner aux militants l’ordre, sous ma responsabilité, d’entrer en relations avec les Français gaullistes de Tunisie en vue de conjuguer, si possible, notre action clandestine avec la leur, en laissant de côté, pour après la guerre, le problème de notre indépendance… Notre soutien aux alliés doit être inconditionnel ». Les récits des témoins vont tous dans le même sens : confirmant l’impression d’André Gide, le général Catroux fut étonné par l’hostilité de la population musulmane lors de l’entrée des troupes alliées à Tunis.

L’attitude de Bourguiba

Sa libération par les autorités de l’Axe et surtout la présentation qui en avait été faite par la presse italienne, pouvait donner lieu à quelques suspicion : « Le docteur Habib Bourguiba qui venait de passer 5 ans dans une prison comme interne politique, et qui a été libéré dernièrement par les puissances de l’Axe, a adressé avant-hier un appel radiodiffusé au peuple tunisien l’invitant à collaborer avec l’Axe. Il a profité de cette occasion pour exprimer sa reconnaissance au Duce par la bienveillante sollicitude qu’il a manifestée à l’égard des membres du Destour internés en France et qui ont été libérés en même temps que lui. En effet, le docteur et ses collègues ont passé quatre mois à Rome où ils furent les hôtes du gouvernement fasciste, avant de rentrer en Tunisie, pour reprendre leur action en faveur de leur pays ». C’est pourquoi il a été entendu par les autorités françaises le 23 juin 1943. Le procès-verbal de son audition fournit sans doute le meilleur éclairage sur son attitude réelle : « Le 18 décembre 1942, nous étions détenus au fort militaire de Vancia, près de Lyon, depuis une quinzaine de jours, lorsque nous avons été appelés dans le hall d’entrée où nous avons trouvé un officier allemand qui nous a dit que le gouvernement allemand nous mettait en liberté. En présence des gardiens français, je lui ai manifesté ma surprise, vu que je n’avais jamais demandé une telle faveur au gouvernement allemand. Il m’a affirmé qu’il avait ordre de me mettre en liberté ainsi que mes camarades et de nous faire rentrer dans notre pays ». Après une entrevue à Lyon avec un commandant allemand du nom de Muller, « nous avons été transférés à Chalon-sur-Saône. On nous a installés dans une espèce de camp d’hébergement qui avait toute l’allure d’une prison en attendant les ordres de Berlin. Le 7 janvier 1943, on nous a avisés d’avoir à nous préparer pour partir à Nice par le train de 1h du matin. A Nice, nous avons été présentés au consul d’Italie de cette ville qui nous a annoncé le premier qu’il avait ordre de nous acheminer sous escorte italienne sur Rome d’où nous rentrerions à Tunis, directement. Nous y sommes arrivés de le 9 janvier. On m’a installé avec deux de mes camarades : Ben Youssef et le docteur Sliman ben Sliman à la villa « Rispichi » contiguë à la villa « Colonna » réservée un grand mufti de Palestine, cheikh Husseini. Ce dernier était à Berlin et n’était pas venu en Italie durant notre séjour. Mais il était représenté par ses lieutenants : le docteur Afifi, Saad Eddine, Salama et Moussa Houssayni qui dirigeaient son bureau de propagande et son poste particulier d’émission, « El ouma el Arabia » (le monde arabe). Deux jours après son arrivée à Rome, j’ai reçu la visite du commandatore Mallini, directeur des questions musulmanes au ministère des Affaires étrangères. Au cours de cette visite, il amena la converstion sur la nécessité d’une collaboration étroite entre le peuple tunisien et l’Italie, en vue de la « libération de la Tunisie du joug français » suivant ses propres termes. Il m’a fait entendre que l’Axe luttait pour l’indépendance des pays arabes et que le grand mufti de Palestine avait lancé un appel en ce sens aux peuples nord-africains. Personnellement, je connaissais de longue date la nature des visées italiennes sur la Tunisie et je n’ai jamais cessé, bien avant l’arrivée des troupes de l’Axe, de mettre en garde mes compatriotes contre la propagande allemande qui cherchait à exploiter l’état de tension qui existait depuis les événements d’avril 1938 dans les rapports franco-tunisiens, pour attirer le peuple tunisien dans une collaboration avec l’Axe, en s’appuyant sur les affirmations du grand mufti de Palestine ». Un peu plus tard, on lui offrit de parler à la radio, d’écrire des articles, de rédiger des tracts. Mais à partir du moment où Bourguiba mit le préalable de l’indépendance à toute collaboration, divers prétextes retardèrent son retour jusqu’aux 6 et 7 avril 1943. « Une semaine après mon arrivée, les autorités de l’Axe commencèrent à m’assiéger pour obtenir de moi que je retourne à Rome ou à Berlin « pour sauver ma peau ». Les mêmes pressions se sont exercées sur les militants qui s’étaient hissés à la tête du parti à la faveur de la répression ». « J’estimais… que tout était préférable à un départ volontaire à Rome ou à Berlin… ». Certains dirigeants partirent cependant : le docteur Thameur, Taieb Slim, Youssef Rouissi, Habib Bou Gatfa, Hedi Saidi. « Dans le discours que j’ai prononcé à Radio Bari, j’ai mis en garde le peuple tunisien contre les « convoitises de l’Etranger » et après avoir remercié les puissances de l’Axe de m’avoir libéré, j’ai ajouté : mais notre comportement politique en ce qui concerne la question tunisienne ne doit pas être influencé par les traitements en bien ou en mal qui s’adressent à nos seules personnes… ». En Tunisie, au cours des réceptions et même dans un discours public, je n’ai jamais cessé d’affirmer ma sympathie pour la cause des Alliés et ma certitude dans leur victoire ». A la fin de la campagne de Tunisie, les autorités de l’Axe qui recherchaient Bourguiba pour le ramener en Italie se présentèrent le 7 mai à son domicile d’Hammam-Lif mais il s’était caché à Tunis où ils ne purent le rejoindre, car ce jour correspondit à l’entrée des forces alliées dans la ville.

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