Les dessous de l’affaire de Gafsa : (Jeune Afrique 6 février 1980)

 

Le dessus à Gafsa (Jeune Afrique 6 février 1980)

 

L’effet de surprise est total dimanche 27 janvier. A 2 heures du matin, sur la route de Feriana, des ombres se dirigent furtivement vers la caserne Ahmed Tlili, à 4 kilomètres au nord nord-ouest de Gafsa.

La sentinelle prestement mise hors de combat, la caserne est aussitôt investie par quelques dizaine peine à s’en rendre maitres. C’est que le gros de la troupe se trouve en manœuvres dans la région de Medenine, à près de 160 kilomètres de là. Quelque trois cents jeunes recrues sont brusquement titrées de  leur sommeil. On ne les laisse même pas s’habiller. Elles sont étroitement surveillées et un témoin affirme les avoir vues en caleçon et tee-shirt ou en pyjama lors de leur transfert, dimanche matin à 9 heures, au lycée technique situé dans le centre de la ville. Les assaillants en feront d’ailleurs, semble-t-il, leur quartier général.

Au moment précis où la caserne Tlili est occupée, un second commando attaque à la roquette le poste de police gardé par deux agents qui sont très sur le coup. Le même groupe s’en prend ensuite au poste de la garde nationale. Un troisième commando investit non loin de là une autre caserne, beaucoup moins importante que la première. En l’espace d’une heure et demie, les trois commandos se sont pratiquement assuré le contrôle de la ville.

Tirs nourris

C’est vers 2 h30 que les habitants sont réveillés par des tirs nourris d’armes à feu. Terrés dans leurs maisons, ils entendent des ordres brefs, lancés avec l’accent du pays « Titre : sur tout ce qui bouge » Et c’est ce qui va effectivement se passer durant cette journée du dimanche 27 janvier, et même le lundi 28. L’acteur Mohamed Taher Soufi (Abdelkrim dans la célébre pièce de théâtre Hamma Jeridi) est blessé pour s’être aventuré hors de chez lui. Le brigadier de police Brahim Khider est touché lui aussi. Originaire de la ville, il sera présenté comme un « hourreau » dans le mystérieux communiqué de la Résistance armée tunisienne diffusé à Paris.

Oubli fatal

«Il n’a jamais fait de mal à personne », répéte-t-on à Gafsa. Les habitants quand ils se hasarderont à l’extérieur, découvriront de nombreux cadavres dans les rues. Les commandes, à bord de voitures particulières « empruntées » à leurs propriétaires, patrouillent toutes armes dehors. Seuls les intéressent  les bâtiments officiels. Ils ignorent les quartiers populaires. Arrivé vers 1h30, le car qui assure deux dimanches par mois le service Bou-Chebka (Algérie) – Gafsa-Gabès-Medenine attendait l’heure du départ. Vidé de ses quarante-trois passagers (dont une femme), tous algériens, il est équipé d’un bazooka et d’une mitraillette  installés sur le toit et servira dans les combats qui vont suivre. Apparemment sûrs d’eux, les assaillants tentent de « gagner » les civils qui osent sortir de chez eux : « Soulevez-vous avec nous pour souver le peuple tunisien et la tyrannie », leur crient-ils, ils enregistrent quelques adhésions forcées. Les nouvelles recrues reçoivent des armes qu’elles jetteront en abandonnant le combat, lorsque les forces de l’ordre interviendront massivement, un peu plus tard dans la journée.

L’alerte a pu être vite donnée les assaillants se sont bien présentés au central des télécommunications, mais pour exiger qu’on leur remette les voitures de service. Comme le responsable tergiversait, ils ont tiré des coups de feu qui ont endommagé les voitures. Mais paradoxalement ils ne sont pas emparés du central si bien que Gafsa, reliée à Tunis par l’automatique, est tout au long des événements restée en contact avec le monde extérieur.

Excentrée, la capitale du Chott el-Djerid ne pouvait être secourue rapidement. Les forces armées les plus proches se trouvent à Kasserine, Gabès et Sfax. Des colonnes de blindés et de transport de troupes sont parties au plus tôt de ces villes et même de Tunis, la capitale, située à près de 330 kilomètres. Dès 9 heures, l’armée entreprend de boucler la région de Gafsa. Depuis le jeudi 24 janvier, le président Habib Bourguiba est à Nefta, à une centaine de kilomètres de là et presque à la frontière algéro-tunisienne. Quelques assaillants auraient même tenté de s’engager dans cette direction par la route de Gafsa à Tozeur. Sans succès.

Un peu avant midi, l’armée donne l’assaut. Des avions et des hélicoptères sourvolent la ville. Les commandos leur tirent dessus avec des armes automatiques. Dans le même temps, les blindés avancent. Prudemment car en face on dispose de roquettes antichars.

Comme à La Mecque

La caserne Tlili est reprise sans grande difficulté. Dans le centre, les occupants du poste de police et du siège de la garde nationale ne se rendront qu’à l’issue de violents combats. Il ne reste plus à dégager que la mosquée Sidi Ben Yacoub, juste en face, et le lycée. La situation n’est pas sans rappeler celle qu’à connue la grande mosquée de La Mecque en novembe 1979 (J.A. n°989) Des hommes armés tenant le minaret de la mosquée et détenant les jeunes recrues au lycée technique : assaut ou pas assaut ? Les autorités se sont posé à question. En fin de compte, on a ouvert à la dynamite une brèche dans l’enceinte du lycée. Dans l’affolement général près de cent cinquante recrues ont pu  s’échapper. Mais, atteints par des grenades lancées par leurs geôliers, quinze de ces jeunes militaires ont péri avant d’atteindre la brèche et plusieurs autres ont été blessés.

A partir de 17 heures, le dimanche 27 janvier les commandes avaient perdu l’avantage. Les autorités pouvaient alors affirmer, dans le premier communiqué diffusé à cette même heure, qu’elles avaient la situation en main. Mais les habitants ont entendu des coups de feu jusqu’à 21 heures. Des témoins affirment que des tirs sporadiques et localisés se sont poursuivis le lundi 28 janvier et même une partie de la journée du mardi 29, tandis que l’aviation continuait de survoler le ville. En fait, il s’agissait de quelques irréductibles cachés dans les maisons ou que l’on interceptait alors qu’ils tentaient de s’enfuir soit vers l’immense palmeraie qui se trouve aux abords ouest de la ville, soit vers les montagnes de l’est et du nord-ouest. Au début de l’après-midi du dimanche 27 janvier les habitants sont sortis pour se ravitailler avant le vouvre-feu fixé à 18 heures, mais en se hâtant, car la fusillade n’avait pas totalement cessé.

Les autorités ont levé une partie du voile, mercredi 30 janvier sur le nombre des membres de l’expédition : officiellement, ils ne sont que cinquante Tunisiens, dont vingt se trouvaient là plusieurs jours avant l’attaque. Selon des sources officieuses, ils seraient arrivés via Rome, Marseille ou Francfort. Des travailleurs émigrés de retour au pays, en quelque sorte. Deux d’entre eux étaient chargés de préparer les détails de l’attaque et de recueillir les renseignements utiles. L’un de ces deux hommes a pu s’enfuir. L’autre un nommé Ezzeddine Cherif, a été arrêté.

L’âme du complot

La cinquantaine, borgne, chauve, cet instituteur originaire de Gafsa avait déjà participé au « complot yousséfiste » de 1962, précise le ministre de l’Intérieur, M. Othman Kechrid. Il purgera dix ans de prison, alors qu’un de ses amis. Akermi, également orginaire de la région, sera exécuté. Après sa libération, Cherif effectue plusieurs séjours en Libye. Avec le compagnon qui a réussi à s’enfuir, Ezzeddine a préparé le « coup de Gafsa », C’est lui qui a établi le plan de la ville, notant en particulier dans une écriture arabe soignée l’emplacement des casernes qui seront attaquées, les logements des officiers avec leur grade.

C’est encore Ezzeddine Cherif qui veillera à l’acheminement et au stockage des armes introduites en Tunisie depuis le début de janvier avant d’aller chercher en voiture, toujours avec son mystérieux compagnon, les commandes venus de l’extérieur. Ces trente autres assaillants sont passés, avec des armes par la frontière algéro-tunisienne qu’ils ont franchie à Bir Om Ali, face à la ville de Feriana, en empruntant une piste.

Au total donc, selon les officiels, les assaillants étaient cinquante, et tous Tunisiens. Les estimations avancées plus tôt tournaient autour de trois cents.

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