Les mystères de Gafsa

 

Tunisie : les mystères de Gafsa   1980

 

Depuis déjà trois  ou quatre jours, les mesures de sécurité étaient renforcées à Tunis. Et tous le monde remarquait bien que, de l’avenue Bourguiba à l’avenue Ali Belhaoune, les policiers portaient leurs armes avec moins de nonchalance. Préférant éviter les contrôles d’identité, les militants se contentaient d’éviter de traîner tard dans la ville. De la simple routine cependant : Tunis s’apprêtait à vivre le deuxième anniversaire des émeutes sanglantes du 26 janvier. Et la provocation du gouvernement qui annonçait deux jours avant cette date, une augmentation du prix des produits de première nécessité de 2% laissait planer l’ombre de grève…

Mais personne de l’homme de la rue au diplomate étranger en passant par la classe politique qui fût capable d’imaginer que là-bas, à trois cent cinquante kilomètres de Tunis, une grosse ville minière du sud allait être investie et contrôlée militairement pendant au moins trente six heures dans des conditions qui sont loin d’être éclaircies.

Suivez-nous ou rentrez chez vous

Il est deux heures du matin dimanche lorsque l’électricité est coupée à Gafsa. Une 404 défonce la barrière de la caserne Ahmed Tlili, à quatre kilomètres au nord de Gafsa. Les occupants de la 404 lancent une grenade contre le poste de police à l’entrée de caserne qui est prise en quelque instants par quelques dizaines d’hommes : seuls sont là trois cent cinquante jeunes recrues tout juste vaccinées, les autres soldats étant officiellement en manœuvre dans la région de Medenine, à moins qu’ils n’aient été comme on l’affirme, massés plus au sud encore à la frontière libyenne.

Les membres du commando semblent bien connaître les lieux, ils se déplacent aisément et prennent simultanément les dortoirs et les dépôts d’armes, tandis qu’un autre commando attaque la caserne par derrière.

Au même moment d’autres commandos encore prennent, la deuxième caserne de la ville, le poste de police et la garde nationale.

Vers deux heures trente du matin, les habitants sont réveillés par des tirs et des détonations violentes. Quelques heures plus tard les prisonniers et l’armement de la caserne sont amenés en camion au lycée de la ville. A partir de là les rues appartiennent à une poignée d’hommes en treillis, en position devant les principaux bâtiments.

Les mercenaires ont contrait tous ceux qu’ils ont rencontrés parmi les civils, les agents de police ou les militaires à se joindre à eux sous la menace, affirme la version officielle. Mais la réalité est quelque peu différente : voitures haut-parleur sillonnant les rues appelant à la révolution tunisienne et criant « l’armée à renversé le régime » tandis que d’autres « rebelles » distribuent des armes à ceux qui acceptent de les suivre …. Et qui sont apparemment bien plus nombreux qu’on a voulu d’abord le faire croire « Vous venez avec nous ou vous rentrez chez vous », disent les assaillants à la population.

Dès neuf heures, l’armée entreprend de boucler la région Gafsa n’est pas une ville très défendue : ses garnisons sont  faibles, tant par le nombre et la qualité de ses armements que par le nombre d’hommes. Des colonnes de blindés et de transports de troupes sont donc immédiatement envoyées de Gabès, Sfax, Kasserine, Sbeitla et même Tunis… Et très vite, Paris envoie non seulement deux Transall et deux Puma, mais aussi des armes tandis que des navires de guerre français croisent au large de Tunis.

Quatre jours de combat

Dans l’après-midi de dimanche donc, l’armée encercle la lycée avant d’attaquer et d’en faire exploser à la dynamite l’un des murs arrière pendant que des avions et des hélicoptères survolent la ville. Une véritable bataille rangée commence lorsque l’armée libère les jeunes recrues. Et c’est le moment où de nombreux « assaillants » sont arrêtés.

A…. 17 heures, les autorités se décident enfin à publier la premier communiqué pour affirmer qu’elles contrôlent parfaitement la situation…. Alors que des rafales violentes crépitent jusqu’à la tombée de la nuit ! Et que tous les témoignages le confirment, des combats ont lieu lundi, mardi et mercredi.

Selon certaines informations, le gouvernement aurait même fait appel à d’anciens fellaghas pour venir à bout des combattants, retranchés dans des maquis où ni les chars ni la garde nationale ne pouvaient pénétrer.

De fait, personne ne s’est trop risqué dehors jusqu’à jeudi. Pour cause : les militaires inquiets tiraient sur tout ce qui bougeait « suspects » et « rebelles » confondus… « j’ai vu des rebelles ou supposés tels exécutés sous ma fenêtre d’une balle dans la nuque rapporte un témoin « Mardi les militaires procédaient à un ratissage en règle avec chiens policiers, surtout dans les djebels et aussi  dans les souks où la population semble avoir manifesté le plus de sympathie à l’égard des rebelles » affirme un coopérant.

Lundi, neuf jours après « l’attaque des mercenaires » sur la ville, ballottés de barrages en barrages, de gouvernorats en postes de contrôle sous avons renoncé à entrer dans la ville.

« Vous avez pu arriver  à quatre kilomètres de Gafsa, moi je n’aurais même pas pu approcher à deux cents  kilomètres » ironise le directeur d’un journal d’opposition. De quoi convaincre évidemment le journaliste le moins – qu’il se passe ? – quelque chose de beaucoup plus grave qu’on le dit dans cette ville. «  C’est arrivé en pleine nuit. Ça tirait de partout. L’attaque a été foudroyante, les combats extrêmement violents. Personne ne s’y attendait » : les diplomates en poste à Tunis n’ont pas été beaucoup plus loquaces sur ce qui s’est réellement passé dans la nuit du 26 au 27 janvier à Gafsa. Alors que les radios françaises. Prévenues par des auditeurs annonçaient  dès dimanche après-midi qu’une colonne d’assaillants venus par l’Algérie occupait la ville où se déroulaient de violents combats, la presse tunisienne restait pendant 48 heures d’une étonnante distant de dénoncer dans des éditoriaux enflammés, « l’ingérence étrangère par bandes armées interposées dans les affaires d’un pays souverain ».

Les allusions répétées à « ceux qui se targuent d’accumuler des armes sophistiquées, de gaspiller leurs derniers en ferraille », désignaient on ne peut plus clairement la Libye et son « guide », le colonel Khadafi.

 

 30 Mercenaires venus de l’étranger

Cette absence d’information n’étonne cependant que les Européens : « C’est aussi cela la nature antidémocratique de ce régime, répètent les opposants. Le silence, c’est l’habitude ici… le gouvernement choisit le moment où il le veut pour informer ou ne pas informer ».

L’absence à peu près totale d’informations précises, y compris chez les hommes politiques de l’opposition la plus modérée, aura eu pour conséquence d’  «idéologiser » ces événements à un tel point que la discussion avec la classe politique tunisienne parvient difficilement à porter sur «ce qui s’est réellement passé », et aboutit immanquablement à des analyses générales de la situation…

Tout Tunis vit donc suspendu pendant quatre jours dans l’attente de la version officielle donnée mercredi à midi par le ministre de l’intérieur, M. Othmen Kethrid.

Oui, annonce en substance M. Kethrid, les «trente agresseurs de Gafsa sont effectivement : tunisiens, mais ce sont des Tunisiens, mais ce sont des Tunisien ayant tous des antécédents judiciaires et séjournant ici depuis 1970 ».

«Guidés par Cherif le Borgne qui avait participé au complot de G2 contre Bourguiba les mercenaires ont commencé à rentrer clandestinement des armes par les points frontaliers de Bir Om Ali et Skhirat et les ont rassemblées dans un dépôt, affirme M. Kehrit, 20 personnes attendaient à Gafsa la bande de mercenaires qui croyaient pouvoir compter sur trois à quatre cents complices ».

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