Tahar Belkhodja : Ben Ali devrait remédier au déficit démocratique

Tahar Belkhodja : M. Ben Ali devrait remédier au déficit

de démocratie dont souffre son pays

 

Le Monde 27 octobre 2009

Les élections présidentielle et législatives du dimanche 25 octobre n’ont pas failli à la tradition : les instances dirigeantes ont proclamé, encore une fois, l’unanimité ou presque en faveur du pouvoir.

Au-delà de cet événement conjoncturel, des questions lancinantes préoccupent de plus en plus mes compatriotes, à tous les niveaux : le système va-t-il évoluer pendant le prochain mandat ? Quel sera l’avenir du pays après Zine El-Abidine Ben Ali ? Les mêmes interrogations semblent courir chez beaucoup d’observateurs étrangers.

Pour ma part, j’ai choisi de dire publiquement mes convictions. Trente années d’action publique et de vie politique m’autorisent à libérer ma conscience et à révéler ce qui, depuis longtemps, me tourmente.

Il faut d’abord convenir que Habib Bourguiba fut omnipotent et omniprésent pendant plus de trois décennies, et que la démocratie n’était pas à l’ordre du jour, même si deux événements mémorables – la débâcle de la politique de collectivisation entamée dans les années 1960 ; l’incursion libyenne à Gafsa en 1980 – auraient dû aboutir à l’ouverture du système. Ce ne fut pas le cas.

« Le Changement » (la prise du pouvoir par M. Ben Ali) a été bien conduit en 1987, mais rien ne garantit que demain la Tunisie connaîtra une succession apaisée. Car le système continue de reposer sur un seul homme vers qui tout converge.

Aujourd’hui, l’appréhension cède à l’inquiétude. Notre pays souffre de façon endémique d’un déficit de démocratie aggrave par la rigidité du système Etat-parti. Le seul régulateur institutionnel, le Parlement, monolithique et conformiste, ne favorise pas le vrai débat.

L’opinion se convainc que les fruits de la croissance ne sont pas répartis équitablement et judicieusement. Elle s’interroge sur le niveau de l’endettement du pays, et déplore la fuite des capitaux et des cerveaux. Les rumeurs les plus extravagantes circulent : on dénonce le clientélisme, les passe-droits ; on fustige des enrichissements indécents et trop rapides.

Cependant, on admet que le pays s’est transformé pendant ces vingt dernières années.

Certes, l’essor économique est relativement probant. C’est la condition essentielle mais non suffisante pour tout développement. Le progrès économique implique nécessairement plus de démocratie des acquis et sauvegarder la stabilité et la sérénité.

J’écoute souvent les jeunes. Ils admettent volontiers le régime présidentiel, mais veulent qu’il soit encadré par une démocratie sereine et crédible. Ils sont angoissés par les perspectives de chômage qui obsèdent déjà la majorité de leurs anciens camarades. La Tunisie, plus proche du Liban que du Yémen, ne pourrait se permettre de voir ses forces vives contraintes de quitter le pays.

Je souhaite qu’une volonté politique au sommet s’exerce pour conduire cet aggiornamento qu’attend le pays. Les autres voies sont des impasses. L’opposition est clairsemée et inconsistante. La société civile est atrophiée par plus d’un demi-siècle d’autoritarisme. La classe moyenne, l’épine dorsale de tout régime républicain, dépérit de jour en jour.

Je voudrais faire confiance au chef de l’Etat. Sa responsabilité est institutionnelle. Président de tous les Tunisiens, il ne doit pas rester à la tête d’un parti, fût-il le premier d’entre eux. Le vrai pluralisme interdit tout lien organique entre l’Etat et les partis politiques, sans aucune exception. La démocratie interne, et la transparence quant aux ressources et aux responsabilités, sont des exigences morales et politiques.

Il nous faut un Conseil constitutionnel affranchi, afin de crédibiliser ses actes. Il nous faut consolider l’indépendance d’une justice respectueuse de l’Etat de droit. Il nous faut une presse libre et des élections pluralistes et transparentes. L’occasion est propice au lendemain de cette élection présidentielle pour entamer solennellement ces reconversions.

Le 25 octobre, comme les fois précédentes, les Tunisiens sont allés voter pour réélire leur président, pariant sur l’avenir et convaincus qu’un changement est inéluctable. Souhaitons qu’ils ne soient pas déçus.

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