La rencontre de Zurich : témoignage de Dr Amor Chedly

Bourguiba tel que j’ai connu

Par Dr Amor Chedly

Le 10 février 1960, Bourguiba se rendit à Zurich pour un séjour de repos. Il avait décidé, également, de suivre une cure végétarienne à la clinique Bircher-Benner à Zurich. Il fut rejoint, quelques jours plus tard par Wassila.

En fait de repos, Bourguiba recevait visites sur visites, notamment de journalistes et d’hommes politiques tunisiens et étrangers. Il savait déjà que le 1er février, lors de la cérémonie des vœux du nouvel an du corps diplomatiques à Paris, de Gaulle avait reçu notre chargé d’affaires à Paris, Tahar Belkhodja.

…Bourguiba fut informé, le 2 mars 1961, par l’ambassadeur de Tunisie à Berne, que les services de sécurité suisse avaient appréhendé à la frontière, Salah Ben Youssef Bourguiba qui n’avait peut être pas désespéré de voir son compagnon de lutte rejoindre les rangs du parti ou, du moins, de le voir faire amende honorable, demanda à le rencontrer. L’entrevue eut lieu le 3 mars.

…Sala Ben Youssef fut introduit entre deux policiers suisses en civil. Presque méconnaissable, il était coiffé d’un feutre et vêtu d’un imperméable beige. Bourguiba le reçut, debout dans le couloir. Parmi les personnes présentes à cette rencontre, il y avait notamment Wassila, sa sœur Neila, sa fille Nabila, Béchir Zarg El Ayoun et notre ambassadeur en Suisse, Taoufik Torjeman, mari de Nabila. Salah Ben Youssef s’avança en tendant la main. Bourguiba refusa de lui rendre la pareille et lui fit signe de s’arrêter à deux pas de lui.

Je transcris, de mémoire, le dialogue qui dura à peine quelques minutes :

  • Alors, dit Bourguiba, voilà déjà cinq ans que la Tunisie est indépendante. Penses-tu toujours que les conventions constituent un pas en arrière ?
  • C’est notre action qui a accéléré l’accession à l’indépendance, répondit promptement Ben Youssef.
  • Et qu’as-tu à dire à propos des tentatives d’assassinat organisées par tes hommes de main ?

Après un instant de silence, Salah Ben Youssef répliqua :

  • Ce ne sont que des balivernes… C’est Béchir Zarg El Ayoun qui te les a rapportées ?
  • Mais tes hommes de main, des Tunisiens détenant des passeports égyptiens, ont tout avoué. Et les manœuvres de Salah Ennajar ? Et le poison ? Et le silencieux destiné à me tuer ? Ce sont aussi des balivernes ?
  • Ce sont des histoires inventées de toutes pièces, répond Salah Ben Youssef.
  • Je vois que tu persistes dans ton entêtement. Très bien, tu peux partir !

Et il fit signe aux deux policiers de le ramener. Dès que Salah Ben Youssef fut sorti, Béchir Zarg El Ayoun se pencha sur Bourguiba et lui chuchota quelque chose à l’oreille. « Fais se que tu veux ! » lui répondit Bourguiba à haute voix. Quelques heures plus tard, Zarg El Ayoun fit savoir à Bourguiba que Salah Ben Youssef presistait dans son entêtement et n’était nullement disposé à s’amender.

Le 12 aôut 1961, on apprenait l’assassinat de Salah Ben Youssef à l’hôtel Royal de Frankfort en Allemagne. A l’annonce de la nouvelle, Bourguiba, qui était alors fortement préoccupé par les suites de la guerre de Bizerte, me parut surpris et même ému. Plus tard, dans les années 70, Bourguiba me raconta au cours d’une veillée, les circonstances de cet assassinat. L’un des adeptes de Salah Ben Youssef, du nom de R. Rezgui, qui entretenait en même temps des liens avec Taïeb Mehiri, ministre de l’intérieur, fit croire à Salah Ben Youssef qu’un groupe de militaires mécontents se proposait d’attenter à la vie du Président. Salah Ben Youssef lui ayant demandé de les rencontrer, rendez-vous fut fixé le 12 août 1961, en fin d’après midi à Frankfort. Au jour et à l’heure convenue, deux personnes désignés par Hassen Ben Abdelaziz, se présentèrent à l’hôtel. Salah Ben Youssef les attendait au salon. Ils lui dirent qu’ils préféraient se rendre dans sa chambre pour une discussion aussi confidentielle. Ce qui fut fait. Salah le cran d’arrêt de son silencieux, puis retournant dans la chambre, il profita d’un large éclat de rire de Salah Ben Youssef pour lui introduire son silencieux dans la bouche et appuyer sur la gâchette. Sans perdre de temps, les deux Béchir Zarg El Ayoun les y attendait, muni de billets pour Rome. Mais l’avion Rome-Tunis était complet.

Alors qu’il essayait de trouver une issue pour rapatriement en urgence des deux hommes, Zarg El Ayoun reconnut parmi les voyageurs en partance pour Tunis, l’un de ses proches parents, accompagnés d’amis djerbiens. C’est, munis de leurs billets, que les deux hommes purent rejoindre Tunis à temps.

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