Depuis son exil à la Galite, une lettre à son fils : Le Chef

Depuis son exil à la Galite, une lettre à son fils : Le Chef

 

…On s’imagine qu’il suffit à un chef politique d’être sincère, honnête et intelligent pour réussir dans sa mission, c’est-à-dire conduire le peuple à la victoire.

L’expérience m’a montré que ces qualités encore que nécessaires ne sont pas suffisantes.

Si ces qualités ne se conjuguent pas avec une grande patience, une grande maîtrise de soi, un cœur large qui permet au chef de pardonner, de dominer sa colère ou son instinct de vengeance, qui lui permet de coopérer avec les autres et coopèrent entre eux et coopèrent avec lui, il risque d’user son autorité dans une lutte sans fin contre des éléments d’œuvre constructive dont il a la charge en une lutte de factions qui ne peut qu’affaiblir son dynamisme et stériliser son action contre d’adversaire principal : le colonialisme. Je n’ai jamais désespéré quant à moi de ramener un patriote  – à condition qu’il soit honnête et sincère – s’il est affligé seulement d’un défaut secondaire, lequel n’est la plupart du temps que l’exagération d’une qualité. J’ai toujours cherché – et suis souvent parvenu – à dominer les clans, surtout celui qui s’affiche comme étant le mien, à ménager les susceptibilités, les jalousies ou les antipathies individuelles en vue d’entraîner l’ensemble en un faisceau solide et cohérent dans la lutte libératrice contre l’adversaire principal. Il suffit parfois d’un mot gentil, d’un sourire pour conquérir un cœur et en faire un élément valable de notre grande « Armée ». Le danger, c’est la tendance des militants de la première heure à la présomption, à mépriser et à décourager les nouveaux adhérents. « Que faisait-tu, quand moi j’étais à Bordj-Lebœuf ? » A ce compte-là, il faudrait renoncer à toute propagande, la propagande ayant principalement pour but de transformer un non-destourien en destourien.

Je me suis toujours heurté dans cette œuvre d’apaisement à des résistances, à des réticences sourdes de la part des meilleurs militants – surtout les durs – et les durs sont précieux. Mais toutes les fois que je suis parvenu  leur faire entendre raison – pas toujours malheureusement – je n’ai jamais eu à le regretter. C’est qu’il me fallait compter avec les défauts d’un peuple qui fut pendant des décades une poussière d’individus où fleurit souvent cet individualisme anarchique qui fut la cause première de notre décadence et de notre impuissance. Il m’a fallu user de tout mon prestige pour maintenir cet équilibre essentiellement instable qui caractérise l’existence d’un grand parti ».

(La Galite novembre 1952)

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