B. Stora : lettre de Bourguiba à Messali Haj : mars 1959

B. Stora : lettre de Bourguiba à Messali Haj : mars 1959

MESSALI HADJ ET LE SAHARA

 

Dans sa recherche d’alliés extérieurs, Messali pouvait légitimement compter sur le soutien du Maroc et de la Tunisie. Le Maghreb était pour lui une entité. Tout au long de sa vie politique, il avait combattu pour l’unité nord-africaine. Le Maroc et la Tunisie, désormais indépendants, étaient en quelque sorte les appuis « naturels » de l’Algérie en lutte pour sa libération. S’il connaissait peu Mohamed V, il avait par contre noué de bonnes relations avec Bourguiba. Les deux hommes se connaissaient de longue date. Depuis le mois de juillet 1926 exactement.

Cette année-là, l’Etoile-Nord-Africaine offrit un banquet aux étudiants algériens, tunisiens, marocains. A la fin du banquet, Habib Bourguiba, jeune étudiant, prononça un discours au nom de tous les étudiants présents[1]. C’est à ce moment que Messali le vit et l’entendit pour la première fois. Juste après la dissolution de l’Etoile-Nord-Africaine par le gouvernement du Front Populaire, en 1937, Habib Bourguiba vint à Paris. Il apporta son soutien à Messali :

« Nos amis tunisiens de Destour nous ont appris que Habib Bourguiba est arrivé à Paris pour un séjour d’une semaine. Aussitôt, nous nous sommes rencontrés, et avons ensemble arrêté un plan d’action, qui a évolué autour d’un important meeting qui s’est déroulé le 14 février 1937, salle des Sociétés Savantes à Paris. Ce meeting a été suivi d’un thé et de quelques interventions au cours desquelles les problèmes nord-africains ont été évoqués dans une ambiance fort sympathique et animée de bonne volonté et de compréhension.[2]« 

Ils s’écrivaient souvent, s’estimaient. En mai 1954, alors que Bourguiba venait d’être transféré en France à la veille l’élection en Tunisie, Messali lui fit parvenir le télégramme suivant :

« Occasion votre transfert France — vous souhaite au nom peuple algérien excellente santé — libération immédiate — pleine souveraineté tunisienne — Vous embrasse affectueusement — Messali Hadj — Résidence forcée-Niort « .[3]

En octobre 1954, à l’occasion du transfert de Messali aux Sables d’Olonnes, Bourguiba envoya un télégramme : « Alors que nous attendions ta libération complète d’un gouvernement qui a donné des preuves de réalisme et de courage, ton simple transfert aux Sables d’Olonnes, nous a apporté pénible déception. Je joins ma protestation à celles de mes camarades algériens et démocrates français qui « prend valeur d’un test et qui en galvanisant toutes les énergies ne peut que hâter l’heure de la délivrance ».[4]

En 1959, dans des circonstances dramatiques, Bourguiba envoya une lettre à Messali. D écrivait, entre autres :

« Je puis témoigner que la liberté de ce peuple a été le but de ta vie, que pour elle, tu as tout sacrifié, que c’est toi qui il y a 35 ans, alors que toute l’Afrique du Nord était plus ou moins résignée à la domination française, que l’immense majorité des Algériens réclamaient le statut français (que l’on appelait alors assimilation et que l’on désigne aujourd’hui par intégration), tu as été le premier à avoir affirmé l’existence de la Nation algérienne et réclamé pour elle la souveraineté et l’indépendance.

L’histoire dira que tu as été le père du nationalisme algérien. Malgré toutes les répressions, ton action a formé des milliers de militants éprouvés. »[5]

Et pourtant le Maroc comme la Tunisie se refermaient inexorablement comme des étaux autour des maquis messalistes en Algérie. L’appui au FLN était total, le MNA catégoriquement rejeté. A la veille de la mise en place des conférences maghrébines de Tanger et Tunis, inlassablement Messali se battait pour la Fédération nord-africaine, contre l’exclusive jetée sur son parti:

« Le peuple algérien et les peuples frères, pourront discuter librement et se mettre d’accord sur la meilleure méthode pour construire un Maghreb arabe digne de ce nom.

Cette construction ne peut se faire que dans la démocratie, la justice et le respect de chaque peuple. Il faut éviter toute ingérence d’un pays dans les affaires d’un autre pays, même et surtout à l’occasion d’une offre de médiation ».[6]

Messali faisait là allusion aux offres de médiation proposées par Mohamed V et Bourguiba. Le 17 septembre 1957, le roi du Maroc, dans un discours prononcé à Tanger, préconisa une solution au problème algérien par la négociation. Le 7 octobre 1957, M Bahi Ladgham, vice-président du Conseil tunisien, exposa à l’ONU la proposition de Bourguiba, de réunir, pour régler le problème algérien, une conférence à quatre : France, Tunisie, Maroc, FLN. Le 25 octobre, les principaux dirigeants du FLN se rencontrèrent à Tunis pour la mise en application de cette proposition.

A la conférence de Tanger, le 25 avril 1958, le MNA était définitivement écarté de la compétition pour « la représentation du peuple algérien ». Pour la première fois, le FLN siégeait comme interlocuteur à part entière. Il était placé sur le même plan que le Néo-Destour et l’Istiqlal. L’argument invoqué ? « Le MNA et Messali son dépassés ».

En ce début d’année 1958, le signal de mise à l’écart du MNA, fut en fait donné à la conférence du Caire du 2 janvier. Ce congrès « des peuples afro-asiatiques » marquait la prépondérance de l’offensive menée par l’URSS qui occupa un siège de vice-président au « conseil de solidarité des peuples d’Afrique et d’Asie », Le FLN obtint l’autre siège de vice-président, Un « Comité d’épuration » fut mis en place avant le congrès. Il rejeta la demande d’une organisation qui se présentait comme porte-parole des musulmans opprimés en URSS. Il rejeta la présence des partisans de Salah Ben Youssef de Tunisie qui demandaient à y assister. Il rejeta enfin la lecture d’un message du MNA. Le congrès décida d’une « journée pour l’Algérie » le 30 mars 1958 et la prise en charge de toute la propagande en faveur du FLN.

Dans la démarche politique de Messali à l’égard du Maghreb, un autre aspect émergeait, prenant de plus en plus d’importance : le Sahara, objet de toutes les convoitises. En janvier 1956, il répondit en ces termes à un questionnaire du « Comité des intellectuels » :

« (…) Le Sahara et ses richesses ont attiré les capitalistes français et étrangers. La presse et particulièrement les grandes revues lui ont consacré des études approfondies (…) C’est pourquoi le Sahara a pris ces derniers temps une importance qui a conduit le gouvernement et les milieux capitalistes à vouloir détacher cet immense territoire qui fait partie intégrante de l’Algérie pour en faire un territoire français et le rattacher directement à Paris. »[7]

Deux ans plus tard, le lancement par Messali du périodique, le Sahara, se justifiait pour une autre raison. Les revendications sur le Sahara et certaines de ses villes, sur des rectifications de frontières, venaient cette fois des dirigeants marocains et tunisiens. L’offre de médiation proposée par ces derniers, la reconnaissance du seul FLN., n’avaient-elles pas des contreparties ? Messali le pensait :

« Jusqu’à ce jour, nous avions été dévorés par un impérialisme extérieur. Actuellement, nous constatons que la Tunisie et le Maroc sont invités à cette grande « diffa » pour déguster la chair vive de leurs compatriotes. Il y a là quelque chose que la plume ne peut qualifier mais que l’intérêt et l’économie expliquent parfaitement bien. Nos voisins répondront-ils à cette invitation ? L’avenir nous l’apprendra ».[8]

 

 


[1] Rapport 1934 – p.11.

[2] Mémoires de Messali Hadj.

[3] Algérie Libre, 29 mai 1954 – n°112.

[4] Bulletin n° 1 du Comité pour la libération de Messali Hadj et des victimes de la répression.

[5] Lettre de Bourguiba du 28 janvier 1959 à Messali Hadj, Afrique Action du 3 avril 1961, p.4.

[6] Messali — Déclaration à Combat du 26 novembre 1957.

[7] Messali – Réponse au questionnaire du « Comité des Intellectuels » janvier 1956. Le Sahara – Numéro 1-  mai 1958 – Revue politique et économique du MNA.

[8] Menali. Article : « Le Plan Gaillard et la solution du problème algérien. »Le Sahara – n°1, mai 1958 – p. 4.

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