Michel Deuré : Comment le « Combattant suprême » a été destitué (Le Monde)

Comment le « Combattant suprême » a été destitué

 

Michel Deuré et Jean de la Guérivière

Le Monde 11 novembre 1987

 

…A partir du moment où M. Ben Ali avait écarté l’idée de recourir à la violence, le refus de  M. Bourguiba de se laisser « déménager » posait un problème. Quittant Shakespeare, on risquait de tomber dan un mauvais livret d’opérette.

Un premier émissaire fut envoyé dimanche au palais de Carthage : M. Béchir Zergue el Ayoun, vieil ami du « Combattant suprême », militant destourien de la première heure, qui passe pour le seul homme à ne jamais lui avoir caché la vérité.

Une aide plus attendue aurait aussi été fournie par une femme : Mme Saïda Sassi, la nièce de l’ancien chef de l’Etat qui lui servait de dame de compagnie depuis son divorce. Loin d’avoir été arrêtée comme on l’avait cru un moment, celle-ci a accompagné M. Bourguiba au Mornag où elle veillera sur lui avec l’aide de tous les médecins qu’il faudra.

Pourquoi cette clémence à l’égard d’une personne qui passait pour une des âmes damnées de l’entourage ? Son jeu aurait été plus compliqué qu’il ne le semblait. Selon une bonne source, elle aurait informé jeudi dernier M. Ben Ali qu’il allait être remplacé au poste de premier ministre par M. Sayah, le mémorialiste attitré du « Combattant suprême ». Raison de cette disgrâce : son refus d’obtempérer au désir présidentiel d’organiser un nouveau procès des intégristes.

Dès cet instant, il semble bien que M. Ben Ali et quelques compagnons sûrs décidèrent de passer à l’acte. M. Ben Hassine, homme de compagnie de M. Bourguiba, est prié de ne plus remettre les pieds au palais. Il comprend que le vent tourne et tente de gagner l’étranger, mais il est refoulé à l’aéroport. Il sera parmi les quelques personnes arrêtées à leur domicile dans la nuit de vendredi 6 à samedi 7 novembre.

  1. Mansour Skhiri, longtemps directeur du cabinet présidentiel, est réveillé par la police dans une chambre de l’hôtel Sahara Palace à Nefta, où il faisait une tournée en tant que ministre de la fonction publique. Il rejoindra ensuite une villa du centre de Tunis qui leur sert actuellement de prison. Un détenu, sans lien avec ce trio, a également passé quelques heures dans la villa avant d’être relâché : M. Bourguiba junior, qui fut lui aussi appréhendé à son domicile à l’aube de samedi.

Trois véhicules blindés ont pris position devant le palais. Le téléphone sonne en pleine nuit chez ceux des membres du gouvernement qui n’étaient pas informés des préparatifs, et il semble bien que ce fut le cas du plus grand nombre… Ils sont invités à se joindre au mouvement sur-le-champ. Un seul refuse. M.Mehiri, secrétaire d’Etat à l’éducation nationale.

A 6h30, le général Ben Ali peut lire à la radio la déclaration que l’on sait.

L’opération a été parfaitement réalisée entre « Tunisiens », et il parait tout à fait incongru d’imaginer qu’il fallut pour cela la bénédiction préalable de Washington et de Paris.

…M. Abdelfatah Mourou, secrétaire général du Mouvement de la tendance islamique (MTI), condamné par contumace par la cour de sûreté de l’Etat à dix ans de travaux forcés, avait téléphoné de l’étranger, où il s’est refugié depuis dix-huit mois, à M. Ahmed Mestiri, secrétaire général du MDS, pour lui demander que le MTI ne soit pas exclu de cette concertation.

La réponse n’a pas été négative, mais faudra-t-il encore auparavant, a répondu M. Mestiri, que le mouvement islamique confirme solennellement son rejet de la violence, et notamment la condamnation formelle des récents vitriolages, son absence de tout rapport avec l’Iran et son acceptation du libre jeu démocratique. Dès lors, il n’y aurait plus aucun problème.

…Cela dit, pour le secrétaire général du MDS, non seulement une amnistie générale est nécessaire, mais il faut aussi réaliser un consensus national.

 

 

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