Bourguiba à Radio Jordanienne 3 août 1968

Pour une politique arabe positive

 

Interview du Président Bourguiba à la Télévision Jordanienne, le 5 Août 1968 à Monastir.

 

QUESTION. – Vous avez fait, M. le Président, il y a quelques années, sur le problème palestinien, des déclarations publiques qui avaient provoqué une grande sensation dans tout le monde arabe. Je voudrais vous demander quelle est actuellement votre position à l’égard de ces déclarations ?

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – Elle est inchangée, et elle demeure ce qu’elle était il y a vingt ans. J’ai toujours considéré le problème palestinien comme étant celui d’une colonisation de peuplement analogue à celle dont tant de pays arabes et africains ont souffert. Aussi, me suis-je prononcé en faveur d’un procédé de lune s’inspirant de celui mis en œuvre pour libérer la Tunisie. Ce n’était lit qu’un conseil désintéressé. Je voulais faire bénéficier nos frères arabes de l’expérience tunisienne qui s’était révélée concluante et dont nul ne saurait nier le succès. Nous avions réussi en effet à délivrer la Tunisie de la domination d’une grande puissance appliquée à substituer une population étrangère au peuple tunisien pour, finalement, annexer notre pays.

J’aurais pu, tant aux conférences des Souverains et Chefs d’Etat arabes, que lors de ma visite aux réfugiés palestiniens à Jéricho, tenir des propos de circonstance, exalter les sentiments de mes auditeurs, formuler des vœux pieux, susciter ainsi les applaudissements les plus chaleureux, puis m’en retourner en retirant mon épingle du jeu. Mais j’ai tenu à être sincère et franc.

C’est que la lutte menée durant vingt ans en Tunisie a consacré la formule que j’avais conçue. Or, les dirigeants arabes du Machrek n’ont pas saisi que, pour faire recouvrer leurs droits aux Palestiniens il fallait abandonner les positions figées, adopter une attitude de souplesse, emprunter parfois des zigzags. Le sen! fait de proclamer son bon droit ne suffit pas pour l’obtenir. En politique on est tenu moins de révéler l’objectif final de l’action, que de réussir. Le dirigeant responsable se doit d’évaluer objectivement les forces en présence, et dans le- cas qui nous préoccupe, celle des Arabes et celle de l’ennemi. A la lumière de cette évaluation, et s’il constate l’impossibilité de parvenir au but d’un seul coup, il doit se fixer un premier objectif. Celui-ci une fois atteint, il s’en fixe un autre. Quand la route est trop longue, ou semée de trop d’obstacles, pour être franchie d’un trait, on se ménage des étapes. Car il faut tenir compte de la réalité ; et lorsqu’on emprunt.- des voies non passantes, on risque de s éloigner davantage du but. C’est bien ce qui est arrivé aux Arabes.

 

QUESTION. – Vos vues, M. le Président, sont ­elles conformes aux décisions prises au Sommet Arabe tenu après le 5 juin à Khartoum et écartant toute reconnaissance d’Israël, toute paix, toute négociation. . .

 

LE PRESIDENT BOURGUlBA. -Ces décisions ont été catastrophiques. Elles ont eu pour résultat de faire perdre aux Arabes, auprès de l’opinion mondiale, le bénéfice de la timide évolution intervenue dans leur position, lorsqu’ils ont manifesté quelques dispositions de bonne volonté en ce qui concerne la reconnaissance du fait israélien, la liberté de navigation, etc… D’autant plus que pour la plupart des Etats arabes et singulièrement l’Egypte, il n’est plus question de la Palestine. On ne réclame que l’application de la résolution adoptée le 22 novembre 1967 par le Conseil de Sécurité et prescrivant le retour à la situation qui existait avant le 5 juin, avec, en contrepartie, la reconnaissance de l’existence d’Israël, dans des frontières reconnues, la liberté de la navigation etc… L’acceptation par les Etats Arabes de cette décision, de l’O.N.U. n’a pas eu l’effet escompté sur l’opinion internationale, précisément en raison de la position intransigeante adoptée au Sommet de Khartoum.

En proclamant qu’ils refusent de reconnaître Israël, de négocier et de conclure la paix avec lui, les Etats Arabes fournissent à leur ennemi un prétexte pour se maintenir dans les territoires occupés, et le cas échéant, pour étendre son territoire. En faisant valoir que son existence est menacée, Israël est sûr de bénéficier du soutien de l’opinion mondiale. Depuis 1947, il n’a pas cessé de reculer ses frontières en faisant passer son expansionnisme pour de la légitime défense. Tout cela, parce que les Arabes ont obstinément refusé de le reconnaître, ne serait-ce que dans les limites territoriales fixées par l’O.N.U.

Or, l’Etat d’Israël, depuis que sa création a été décidée par l’O.N.U. avec l’approbation d’une majorité de trente trois voix a été consacré par la légalité onusienne. Cette consécration, ni les grandes puissances, y compris l’U.R.S.S., ni les Etats du Tiers-Monde en Afrique, en Asie, en Amérique Latine, n’envisagent de la remettre en question. Que, des Etats membres de l’O.N.U., proclament à tout bout de champ qu’ils sont décidés à détruire un autre Etat membre, voilà qui constitue un point faible dans la position des Etats Arabes.

Certes, la création d’Israël a été une injustice flagrante que nous ne sommes pas les derniers à dénoncer. Mais la décision de l’O.N.U. est toujours valable, et en tant que membres de cette Organisation, nous sommes tous tenus de respecter sa Charte qui nous fait une obligation de soutenir la souveraineté de tous les autres Etats membres, Israël compris. En nous attaqua à cet Etat, nous adoptons une position insoutenable. De même, sur le plan militaire, nous ne sommes pas suffisamment forts pour défier l’O.N.U. et imposer notre volonté par les a mes.

Voilà dans quelles conditions, aggravées par une défaite militaire, le Sommet de Khartoum qui, par ailleurs, a pris des décisions dictées par le bon sens, en c; qui concerne l’exploitation des hydrocarbures et l’aide aux pays victimes de l’agression du 5 juin, a proclamé le rejet de toute négociation, de toute conclusion de paix, de toute reconnaissance d’Israël. Cette attitude, je ne le répéterai jamais assez, renforce la position de l’ennemi qui a beau jeu pour s’attacher à ce qu’il appelle des « garanties territoriales ». Il est à l’aise pour avancer qu’il est obligé de défendre son existence, jusqu’au jour où elle ne sera plus menacée, c’est-à-dire jusqu’au jour où elle sera reconnue.

En fait, les Etats Arabes ont bien reconnu l’Etat d’Israël, lorsqu’ils ont accepté la résolution du 22 novembre 1967 qui implique l’existence d’un Etat israélien. La position des Etats arabes est donc visiblement ambiguë, et ils ne se font pas faute d’entretenir l’équivoque par des attitudes contradictoires.

Les Etats du Tiers-Monde sont convaincus que les Arabes n’ont pas tiré des événements la leçon qu’ils comportent. La plupart d’entre eux n’ont accédé que depuis 1960 à l’O.N.U. dont Israël était membre dès 1948. Toute tentative pour supprimer un Etat ne peut que les, choquer. Les Ambassadeurs africains accrédités à Tunis m’ont confirmé qu’aux yeux de leurs gouvernements, Israël a droit au même respect que l’Irak ou la Syrie.

Ainsi nous serions mal venus, devant l’opinion mondiale, à dénoncer l’agressivité d’Israël, cependant que nous proclamons notre refus de le reconnaître, d’engager des négociations avec lui et de conclure la paix. Le résultat de notre politique inconséquente est de nous aliéner la sympathie du monde entier. Avant le 5 juin, on nous prenait au sérieux et on craignait pour les Juifs une extermination dont nous brandissions la menace. Depuis on s’est rassuré, et même on éprouve pour les vaincus une certaine commisération. Mais par notre obstination, nous contribuons à laisser s’ancrer l’image d’un Israël luttant pour son existence et en perpétuel état de légitime défense. Voilà comment, tout en étant victimes de l’agression et de l’injustice, nous nous faisons passer pour des fauteurs de guerre.

A ce propos l’exemple des U.S.A. est édifiant. Dans tout l’éclat de sa puissance, ce pays n’hésite pas à engager, autour d’une table ronde, des pourparlers avec la République Démocratique du Viet-Nam. Qu’il soit en mesure d’écraser cet adversaire, ne l’empêche pas de manifester sa bonne volonté. C’est dire qu’en continuant à proclamer des intentions belliqueuses, nous fournissons une justification non seulement à l’existence d’Israël dans ses frontières de 1947, mais aussi à son maintien dans les territoires occupés, c’est-à-dire sur les rives du Jourdain et du Canal de Suez. Telle est la réalité qui semble toujours échapper aux Arabes.

 

QUESTION. – En faisant fi des valeurs morales et en ignorant la loi internationale, Israël , n’est-il pas en train d’affaiblir sa position ?

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – Il faut d’abord que les Arabes se soumettent à la légalité onusienne, pour pouvoir ensuite dénoncer valablement les infractions à la loi internationale commises par Israël. Celles-ci, les Juifs n’ont aucune difficulté à les justifier par le refus des Arabes de respecter la légalité onusienne.

 

QUESTION. – Faut-il comprendre, M. le Président, que le délégué de la Tunisie au Sommet de Khartoum, n’a pas approuvé les décisions prises par cette conférence ?

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – Vous savez que je n’ai pas participé personnellement aux travaux de cette conférence. Mais mon représentant a développé les vues de la Tunisie. Il a repris une image dont j’avais moi-même usé. Il a comparé Is­raël à un cancer. La solution idéale serait de le détruire. Mais pour le faire nous ne disposons ni de la force morale que confère une position juridique solidement établie, ni de la force militaire. Dans ces conditions l’unique solution consiste à le contenir dans un espace aussi étroit que possible, c’est-à-dire, en l’occurrence, dans les limites fixées par l’O.N.U. en 1947, acceptées à l’époque par les Juifs et rejetées par les Arabes. En faisant aujourd’hui de cette décision notre plate-forme, en amenant Israël à se découvrir par un rejet qui parait plus que probable, et en favorisant une action de résistance susceptible d’exercer, dans le même temps, une pression qui deviendra rapidement intolérable, nous finirons par gagner la sympathie de l’opinion internationale. Il y a de fortes chances d’abord pour que la menace qui pèse sur les Etats arabes s’estompe, et ensuite pour que la situation évolue dans un sens qui nous soit favorable.

Dans notre lutte pour l’indépendance de la Tunisie, nous avons fait du retour à la lettre et à l’esprit du traité du Protectorat, la première étape sur le chemin qui devait nous conduire à la liberté. En cinquante ans, le régime auquel notre pays fut soumis, avait beaucoup évolué. Le Protectorat avait été dépassé. L’autorité tunisienne avait dépéri, faisant place à l’administration directe, et la Tunisie était gouvernée comme s’il s’agissait d’un département français. Le retour au traité du Protectorat n’était pour nous qu’un objectif provisoire, mais cette position nous a gagné la sympathie de nombreux français. En réclamant davantage nous aurions heurté tous les Français et les aurions dressés contre nous, dans une réaction unanime. Conscients de notre faiblesse, nous ne pouvions que faire la politique de nos moyens.

N’étant nullement habilité à parler au nom des Palestiniens, j’ai tenu, pour le moins, à faire profiter nos frères arabes de l’expérience tunisienne. Ce fut un tollé général. La réaction véhémente a été provoquée moins par les propos que j’ai tenus – le Président Nasser en avait tenu d’identiques à Bandoeng (1955) et à l’envoyé de la revue « Réalités » (1965) – que par le refus de la Tunisie de s’incliner devant les diktats du Caire. Pour m’attaquer, l’appareil de propagande du Caire a choisi le terrain plus favorable de la Palestine, exploitant ainsi les passions exacerbées des masses arabes. Depuis, ceux qui m’avaient reproché de préconiser la reconnaissance d’Israël dans les frontières de 1947, en sont venus à se contenter même des frontières du 5 juin 1967.

 

QUESTION. – Réclamer le retour aux frontières du 5 juin 1967 n’est-il pas un minimum qui n’empêche pas la poursuite de l’action pour recouvrer les territoires spoliés ?

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – Le retour aux frontières fixées en 1947 ne constituait dans mon esprit, et je l’ai dit, qu’une première étape. On m’a opposé que la reconnaissance à Israël d’un pouce du territoire arabe était une trahison. Si mes détracteurs disposaient de la force suffisante pour détruire l’Etat juif, je n’y aurais vu aucun inconvénient. Mais ce n’était pas le cas, et pour cause. Il fallait donc imaginer un, compromis fut-il provisoire, mais susceptible d’améliorer notre position et de faciliter la solution idéale, car le monde est en perpétuelle transformation.

Si c’est trahir que de se prononcer en faveur du retour aux frontières de 1947, comment l’acceptation du simple retour aux frontières du 5 juin ne le serait-il pas ? Et s’il s’agit d’une première étape, comment l’atteindre lorsque cette position est assortie du refus de négocier, de conclure la paix et de reconnaître Israël ?

Voilà comment nous nous égarons dans les contradictions, et comment nos positions ne nous ont pas gagné la sympathie de l’O.N.U., du Tiers-Monde et des grandes puissances. Même les amis des Etats arabes dans 1e bloc oriental, l’U.R.S.S. en tête, ne mettent pas en cause l’existence d’Israël. C’est dire qu’on a engagé les hostilités sans même s’assurer des alliés, ou plutôt sans se mettre d’accord avec eux sur les buts de la guerre. « L’U.R.S.S. avec nous » s’est-on hâté de crier sans même savoir si Moscou était disposé à participer à la libération de la Palestine. Et effectivement le Kremlin n’est pas du même avis que les Arabes puisqu’il soutient l’existence d’Israël.

Il n’y a pas eu d’accord non plus sur la fermeture du golfe d’Akaba ni sur la dénonciation de la pseudo-participation des forces aériennes américaines aux combats. Moscou a en effet infirmé cette participation. Il se révèle que pour l’Egypte la guerre n’était ni plus ni moins qu’un bluff.

Elle était restée sourde à l’appel de ceux qui réclamaient la convocation d’un Sommet pour examiner la situation et décider, en toute connaissance de cause, de la conduite à suivre. Le Président Nasser est allé jusqu’à dire que la guerre qu’il allait engager était la sienne et que le jour qu’il attendait depuis douze ans était venu. Surestimant ses propres forces, et mésestimant celles de l’adversaire, il croyait qu’il s’agissait pour l’armée égyptienne d’une promenade militaire. A la Radio du Caire le slogan du jour était « nous serons demain à Tel Aviv ».

La défaite a rejailli sur tout le monde arabe, alors que nous n’y sommes pour rien. Nous n’avons pas été consultés. Le mal provient de ce qu’un pays qui s’est intitulé la République Arabe Unie prétend être fondé à parler, décider, faire la guerre, conclure la paix, consentir des concessions, au nom de tous les Arabes. Or les Etats arabes, indépendants et souverains existent toujours. En tant que tels, ils ont !adhéré à la Ligue des Etats arabes. A ma connaissance, aucun amendement n’a été introduit dans la Charte de cet organisme qui consacre leur indépendance et leur souveraineté.

Parce que le Président Nasser s’est arrogé un mandat que personne ne lui avait confié, il se croit autorisé à agir comme bon lui semble, en engageant tous les Etats arabes. Sou comportement est d’autant plus coupable qu’il a commis une erreur de taille dans l’appréciation de la conjoncture : tous les Etats, même les pays de l’Est, même ceux dont le régime est dit révolutionnaire, soutiennent l’existence d’Israël.

 

QUESTION. – Mais Monsieur le Président, l’opinion arabe était favorable à la guerre ?

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – Ce que tous les Arabes doivent comprendre c’est que nous sommes dans un isolement absolu. Nos droits ont beau être spoliés, l’opinion mondiale nous est hostile en raison de l’attitude inconsidérée de certains dirigeants. Dans le monde, on s’émeut pour le Biafra, on remue ciel et terre pour soutenir le Viet-Nam, on se lamente sur le sort des noirs en Afrique du Sud, mais nul ne soutient les Arabes. Leur cause a été compromise par les menaces et les invectives inopérantes lancées contre les Juifs et par le spectre de la solution militaire qu’on n’a pas cessé d’agiter. Entre le philosophe ou l’homme de lettres et l’homme d’Etat, il n’y a rien de commun. Celui-ci est tenu de concevoir et de développer un plan d’action propre à lui faire atteindre le but qu’il se propose de réaliser, et on le juge non pas sur ce qu’il a fait, mais sur son succès ou son échec.

 

QUESTION. – Ne pensez-vous pas que la conjoncture présente impose aux Etats arabes de se concerter à l’échelon le plus élevé pour harmoniser leurs efforts et se partager les tâches, face aux dangers qui les menacent et aux défis qui leur sont lancés ?

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – Une telle perspective est apparemment séduisante. Encore faut-il que les Etats arabes soient d’accord sur l’essentiel. Or les dirigeants arabes sont en conflit permanent. Parfois leurs discordes s’étalent au grand jour et parfois elles sont feutrées. Vous savez sans doute qu’il y a des dirigeants pour se réjouir des difficultés du Président Nasser parce qu’il avait tenté de détruire leurs régimes. En outre certains Etats arabes sont dits révolutionnaires et d’autres réactionnaires. Ces derniers ont été victimes des campagnes les plus violentes. L’un d’eux a figuré sur la liste des Etats à détruire, avant celui d’Israël, et vous devez vous en souvenir.

Si un Sommet devait se tenir, nous, ne saurions nous mettre d’accord que sur des décisions négatives. Rien de sérieux ne pourrait en sortir.

De l’avis de certains Etats arabes, seul le Président Nasser est à l’origine de la défaite puisqu’il avait rejeté toute conférence à la veille du 5 juin, voulant remporter une victoire militaire qui fût la sienne propre. L’issue de la guerre lui ayant été contraire, il voudrait couvrir sa défaite par quelques décisions prises en commun. Mais on préfère lui laisser la responsabilité de s’en sortir comme il l’entend. D’ailleurs le souvenir des insultes et des calomnies dont ses partenaires avaient été victimes, des troubles fomentés dans leurs pays à partir du Caire, est encore vivace, et les blessures d’amour-propre ne se sont pas encore cicatrisées. En Jordanie vous en savez quelque chose.

C’est dire que le rétablissement de la confiance n’est pas pour demain et qu’il s’en faut de beaucoup pour qu’une atmosphère d’entente et de bonne foi se substitue à la méfiance qui caractérise les rapports inter-arabes. Même lorsque les dirigeants arabes ne vident pas leurs querelles en champ clos, comme c’était le cas hier au Yémen, ils usent de la duplicité. Je citerais à ce propos l’exemple de ce Chef d’Etat qui au soir du 9 juin 1967 câblait au Président Nasser pour le féliciter d’avoir renforcé « l’honneur des Arabes ». On s’est tellement habitué à le ménager pour ne pas encourir sa disgrâce !

Les rapports inter-arabes doivent être révisés de fond en comble et chaque Etat mis en mesure de partager la responsabilité du devenir arabe.

 

QUESTION. – Pendant vingt ans les Arabes ont attendu la guerre. Lorsqu’elle a éclaté, il s’en sont réjouis. Ne peut-on pas la considérer comme une simple bataille et penser que la guerre n’a pas cessé avec la fin des opérations déclenchées le 5 juin ?

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – On a leurré les peuples arabes. On leur a fait croire que l’Egypte disposait d’une force de frappe irrésistible, de la plus forte armée du Moyen­ Orient, dotée d’avions, de fusées, etc… Si on leur avait dit que les armées arabes étaient peu familiarisées avec la guerre moderne. que les connaissances technologiques, dans les pays arabes, laissaient à désirer, et que le monde entier leur était hostile, ils se seraient prononcés contre la guerre. Ils sont perméables quand on leur tient un langage de raison. La preuve en est que lorsque je m’étais adressé à eux à Jéricho, ils n’ont pas réagi d’une façon défavorable. Je leur avais bien dit pourtant que la lutte sera longue, et qu’il fallait se ménager des étapes, accepter compromis, en attendant la solution parfaite.

Les dirigeants n’ont pas essayé de relever leur niveau, de les inciter à réfléchir, de leur révéler la vérité. Ils se sont employés au contraire à exacerbe,- leurs passions, à faire miroiter à leurs yeux &s victoires qu’ils ont fini par croire à portée de leurs, mains.

Mais ces dirigeants se son’_ mêmes trompés dans l’évaluation des forces en présence. Plutôt que d’ouvrir les yeux des masses, ils les ont incitées là combatte l’impérialisme, Is­raël n’en étant, à les en croire, que l’instrument. En poussant plus loin cette argumentation, on accuserait aussi l’U.R.S.S. d’être le complice de l’impérialisme, puisqu’il est, lui aussi, favorable à l’existence d’Israël.

 

QUESTION. – Israël n’est-il pas l’allié du colonialisme ?

 

LE PRESIDENT BOURGUlBA. – Il n’est pas l’allié du colonialisme. Il est le colonialisme qu’il faut combattre au même titre que celui que nous avions combattu ici en Tunisie pendant un quart de siècle.

Mais pour mener une lutte efficace, en vue du retour aux frontières de 1947, il faut des années de souffrances, une stratégie valable, une nationale faille. il faut surtout quo le responsable de la lutte soit clairvoyant et bénéficie de la confiance de ses troupes, pour être en mesure de manœuvrer en toute liberté, sans encourir le risque d’être accusé de trahison, à la première initiative quelque peu osée. Dans la situation actuelle des choses les mouvements palestiniens de résistance sont divisés et chacun d’eux ne cherche à s’imposer que par la surenchère. Ils ne se retrouvent que pour adopter les positions les plus intransigeantes. Leur politique se résume dans le « tout ou rien n, dût la guerre se poursuivre pendant cent ans. L’intérêt personnel des dirigeants leur dicte de s’en tenir à cette politique, pour ne pas compromettre leur prestige. Le sens de l’efficacité leur est étranger.

En attendant, Israël bénéficie du soutien de l’opinion mondiale, et tout lui est permis du moment qu’il est considéré en état de légitime défense et encerclé par des voisins belliqueux.

Pendant vingt ans, les masses ont été travaillées par des slogans de revanche, si bien qu’aucun dirigeant n’a le courage de leur ouvrir les yeux et de leur faire admettre la nécessité de reconnaître Israël, pour sortir le problème palestinien de l’ornière.

 

QUESTION. – Il n’est pas difficile pour un peuple de cent millions de personnes, disposant de tous ces moyens . . .

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – Vous êtes en train de manager les téléspectateurs, et vous savez très bien que dans les guerres modernes, la force numérique n’est d’aucun poids.

 

QUESTION. – La Jordanie se tient courageusement sur la ligne de feu. Elle résiste aux agressions quotidiennes. Elle constitue un rempart pour les autres Etats arabes. Quelle est l’aide que la Tunisie compte consentir à la cause du monde arabe ?

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – Vous vous faites l’écho de la position officielle de la Jordanie. Vous n’ignorez pas cependant que l’autorité jordanienne sur la Cisjordanie est contestée par les Palestiniens qui considèrent cette région comme une partie de leur territoire national. Depuis la création de l’Organisation de la Libération Palestinienne, le malentendu ne fait que s’aggraver. Il y eu des accrochages et des heurts. Tout a fini par rentrer dans l’ordre, lorsque la Jordanie s’était inclinée. Ce qui veut dire que les actions des hommes ne sont pas dictées par la raison, mais inspirées par la passion,

En ce qui concerne la participation de la Tunisie, je dois rappeler qu’en apprenant la nouvelle de l’agression, nous avions fait table rase des conflits qui nous avaient séparés, des insultes dont nous avions été abreuvés, des accusations malveillantes qu’on nous avait portées. Nous avions donné l’ordre à nos forces armées de faire mouvement en direction du Moyen-Orient. Mais, à notre grand regret, il n’y a pas eu de guerre à propre- ment parler. Avant même que les renforts dépêchés de Tunis n’aient atteint la frontière libyenne, le cessez-le-feu était proclamé.

Sur le plan technologique, le monde arabe est trop en retard pour triompher d’Israël. Notre attitude obstinée nous a aliéné la sympathie de l’opinion mondiale. Notre « tout ou rien » a gagné à Israël le soutien international.

Avant plusieurs générations, nous ne pourrons pas aligner une force armée capable de triompher d’Israël. Nous venons à peine de sortir de la décadence et de l’isolement, bien que quelques dizaines de kilomètres à peine nous séparent de l’Europe. Cela, je n’ai cessé de le dire aux Tunisiens. Et pourtant nous nous permettons de provoquer par nos attaques le ressentiment des grandes puissances. Souvent notre vanité n’a pas de bornes. Saâd Zaghloul, chef du gouvernement égyptien, dans l’entredeux guerres, à qui on demandait de fournir une aide à un Etat arabe, la Syrie, je crois, a répondu :« 0 + 0 = 0 ».

La guerre est une entreprise trop redoutable pour qu’on l’engage à la légère, en se fondant sur des statistiques ou sur le spectacle enivrant des revues militaires. Au Caire, on a trop attendu de l’armée égyptienne. A l’heure du péril, elle n’a pas accompli son devoir. Il y a lieu de croire que les armées arabes ne s’illustrent que dans les coups d’Etat, tantôt en Egypte, tantôt en Syrie, tantôt en Irak. Elles font merveille quand il s’agit de substituer, au petit matin, un Chef d’Etat à un autre. On ne se prépare pas à la guerre de cette façon !

 

QUESTION. – La Ligue Arabe peut-elle servir de cadre à l’action commune ?

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – La création de la Ligue avait suscité de grands espoirs dans les pays du Maghreb en lutte contre une colonisation de peuplement. Le 26 mars 1943, quatre jours après la constitution de la Ligue, je prenais clandestinement le chemin du Caire et je traversais le désert libyen, exposant ma vie à chaque minute.

De la Ligue Arabe, je n’attendais qu’un soutien moral et la mise à ma disposition d’une tribune me permettant de faire entendre la voix de la Tunisie. Je n’avais nullement l’intention de lui demander de se substituer à nous pour combattre la France. Mais ce soutien moral, il m’a été impossible de l’obtenir de cette organisation. Peut-être ses préoccupations du moment, orientées vers la solution du problème palestinien, l’ont-elles empêchée, de nous donner satisfaction. Ce qui est certain, c’est qu’elle voulait ménager la France. Nous ne lui en avons pas tenu rigueur et le problème tunisien n’a jamais figuré à l’ordre du jour d’une session de la ligue, comme nous l’aurions souhaité, celle-ci avançait toutes sortes de prétextes pour se dérober à nos sollicitations. On nous promettait l’examen de la question tunisienne dès le règlement du problème palestinien.

Dois-je rappeler aussi, que je n’ai pris la parole pour la première fois dans l’enceinte de la Ligue qu’en 1964, une fois devenu Président de la République Tunisienne ?

Ceci étant précisé, il ne serait pas superflu de rappeler que la charte de la Ligue Arabe stipule expressément que les Etats membres sont indépendants et souverains ; et que l’article 8 prévoit l’égalité des droits de tous les Etats membres. Aucune décision n’oblige ceux qui ne l’ont pas approuvée. 11 n’est nulle part question de majorité ou de minorité. Mais grande a été notre surprise, quand à la suite de l’union syro-égyptienne, le nouvel Etat ainsi constitué et s’instituant « République Arabe Unie » s’est érigé de son propre chef, le porte-parole et L leader de tous les peuples Arabes. Même une fois la séparation consommée, l’Egypte a continué à s’appeler « La République Arabe Unie » et à se considérer comme le champion urique et incontestable de l’Arabisme. C’est précisément cette prétention exorbitante des autorités du Caire qui est à l’origine de tous les malheurs qui ont éprouvé et qui continuent d’éprouver la Ligue Arabe.

C’est ainsi qu’une guerre malheureuse a été déclenchée sans la consultation préalable des Etats membres. Jusque là, le Caire, convaincu d’un leadership qu’il s’était abusivement octroyé, se permettait de livrer à la vindicte publique les dirigeants arabes qui refusaient de se soumettre à ses diktats. Pour noircir 1es récalcitrants, les autorités égyptiennes n’hésitaient pas à les qualifier de réactionnaires et à les dénoncer comme étant plus dangereux qu’Israël lui-même.

Sans doute la « ligue arabe» se targue-t-elle de jouer le rôle de l’O.N.U. à l’échelon régional et cherche-t-elle à se donner l’illusion, par le caractère imposant de l’immeuble du Caire qui abrite ses services, qu’elle n’a rien à envier à l’Organisation Internationale du Palais de Manhattan. Mais en réalité il ne s’agit que d’un colosse aux pieds d’argile dont le corps est miné de l’intérieur par un mal redoutable. né de ce déséquilibre artificiellement créé dans les rapports des Etats membres.

Issue de la volonté unanime des Arabes qui voulaient en faire un lieu de d’union et de compréhension mutuelle, la Ligue s’est trouvée détournée de ses objectifs par les tendances hégémoniaques de l’un de ses membres qui, fort du nombre de sa population et de l’importance supposée de son potentiel, s’est érigé unilatéralement un champion des nations arabes auxquelles il prétend imposer sa volonté. Ce comportement inconsidéré a jeté la confusion au sein de la Ligue. Tous ceux qui s’opposaient à cette hégémonie étaient traînés dans la boue. Les, autres se résignaient par veulerie ou par duplicité. Aussi une atmosphère de suspicion et de rancœur s’est-elle installée là où devaient régner l’entente sincère et la fraternité. Tous les prétextes sont devenus bons pour ternir la réputation de l’adversaire, et de ce fait, les Arabes, au lieu de se serrer les coudes, se sont trouvés divisés en factions irréconciliables de «progressistes», «révolutionnaires», «socialistes», «réactionnaires», se livrant une lutte sans, merci et se réclamant, chacun selon ses sympathies ou l’humeur du moment, de telle ou telle grande puissance. Tout le mon& sait à quelle issue fatale nous a conduits le vent de discorde qui a soufflé sur nos pays. Quand sonna l’heure de vérité, les Arabes se sont trouvés seuls dans la tourmente et la dérobade de ceux qu’ils prenaient pour des amis éprouvés, a été générale. Les plus fidèles, devenaient les partisans diligeants d’une solution pacifique et limitaient leur soutien à la vente d’armements à leurs « amis » arabes.

En vérité, il est difficile de trouver un terrain d’entente avec des dirigeants qui nous ont précipités au fond du gouffre. Même dans les familles, la tyrannie fut-elle celle d’un frère aîné, est difficilement tolérable. Aussi, la Tunisie, s’est-elle refusée à se laisser satelliser.

Je n’ai pas combattu le colonialisme pendant 35 ans pour livrer ensuite le destin de mon pays aux caprices d’un Nasser ou d’un Zakaria Mohieddine. Je sais mieux que quiconque ce qui est avantageux pour mon peuple, et connais mieux que personne ce qu’il convient de faire sur les plans intérieur et extérieur. Nos options politiques et les choix de nos alliés doivent être l’expression de notre propre volonté. Or on voudrait qu’il en fut autrement car la Ligue Arabe n’est plus que l’instrument de la politique étrangère du Caire.

… Je vous en prie ne m’interrompez pas ! Les auditeurs et les téléspectateurs de Jordanie comprennent parfaitement ma position et savent combien je suis sincère. J’aurai, pu évidemment tenir un tout autre langage et m’aligner sur la conduite adoptée par les autres dirigeants des pays arabes. Mais il me répugne de me leurrer et de leurrer les autres. Dire la vérité est pour moi primordial. Car cette attitude est toujours payante. Tôt ou tard, on finira par se référer à mes propos, comme doivent le constater aujourd’hui les réfugiés de Jéricho, et par reconnaître que la méthode que je recommande conduit au succès.

 

QUESTION. – Quelles que soient les dissensions internes qui déchirent « La Ligue Arabe » et qui sont dues à des divergences d’opinions, cette organisation n’est-elle pas en définitive le meilleur moyen pour conjuguer les efforts du monde arabe ?

Or la Tunisie s’est retirée à plusieurs reprises de la « Ligue ». Cette attitude devait-elle, dans votre esprit, raffermir la position de cette organisation pour l’amener à poursuivre une action concertée du monde arabe?

 

LE PRÉSIDENT BOURGUIBA. – Vous n’ignorez pas que lorsque nous avions pris nos distances vis-à-vis de la Ligue nous n’avions pas manqué d’expliquer les mobiles qui avaient déterminé notre conduite, et nous n’avions pas prétendu tenter par ce le blason de l’organisme cairote. Il Lu d’éveiller les consciences des autres membres qui, au titre que nous, ressentaient tout le poids de la tyrannie qui leur était imposée. Car aucune nation ne peut accepter de gaieté de cœur d’être soumise à la volonté d’autrui. La Tunisie n’avait rien fait d’autre que d’affirmer sa volonté d’indépendance vis-à-vis des entreprises hégémoniaques du Caire, tout en se maintenant à la Ligue. Cette attitude se justifie d’autant plus que le leadership que l’Egypte s’était attribuée, nous a conduits là la plus grande catastrophe de notre histoire depuis l’invasion tartare du 13ème siècle.

Quand l’assassinat et la subversion se drapent du voile trompeur de la fraternité, nul n’accepte d’en devenir la victime expiatoire. Sous le signe de la fraternité arabe n’a-t-on pas cherché, en effet, à liquider Bourguiba et à susciter des troubles pour abattre son régime ? N’a-t-on pas incité le peuple à lui réserver un sort analogue à celui réservé par les Irakiens à Nouri Saïd ? Les régimes séoudien, syrien et jordanien, n’ont-ils pas été en butte aux mêmes entreprises subversives ? Dieu merci ! Nul ne veut de cette fraternité à la Néron qui n’embrassait ses ci mis que pour mieux les étouffer ! Les meurtres et les complots sont devenus les instruments de cette politique d’hégémonie dont les victimes sont trop nombreuses pour être citées. La terreur qui règne dans les pays arabes et les convulsions qui les agitent périodiquement sont les conséquences inévitables de cette subversion.

 

QUESTION. – Vous devez convenir, M. le Président, que tourner le dos à la Ligue n’est pas de nature à améliorer la situation et qu’il est, peut-être, plus avantageux de provoquer des rencontres entre les parties concernées ?

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – Je pense que ces rencontres ne peuvent déboucher sur des résultats positifs que dans la mesure où les intentions malveillantes sont bannies. Et comment faire confiance à des gens que nous savons foncièrement hostiles à notre personne et à notre régime ? N’avons-nous pas arrêté, en Tunisie, des criminels venus du Caire, munis de directives écrites, de faux passeports et d’armes, et dont la mission était de commettre des assassinats et de provoquer des troubles ? Les autres pays arabes ont été aussi le théâtre des mêmes tentatives criminelles. A quoi servent, dans ces conditions, les rencontres ?

Peut-on oublier que certains Etats arabes sont si convaincus de l’excellence de leur régime qu’ils veulent l’imposer aux autres pays ?

Ils ne reculent devant aucun moyen pour parvenir à leurs fins, ce qui a fini par leur aliéner toutes les sympathies, au point de rendre indésirables les enseignants qu’ils fournissent aux pays « frères ».

Pour rétablir la confiance parmi les nations arabes et assainir l’atmosphère, il importe que certains pays se débarrassent de leurs complexes de supériorité et que les rapports interarabes se fondent sur l’égalité.

Bien avant l’apparition des régimes dits « révolutionnaires » et la naissance de «la République Arabe Unie », les pays arabes tenaient assez souvent des réunions à caractère économique et culturel et personne ne se livrait à des insultes, complotait contre ses voisins ou tentait de susciter des troubles en s’adressant aux peuples par-dessus la tête des dirigeants. Depuis, les mœurs ont changé. A présent et après avoir tiré à boulets rouges sur un pays frère on n’éprouve aucune gêne à rencontrer ses représentants et à les congratuler. On a même poussé la duplicité jusqu’à organiser de véritables complots à l’heure même où se tenait une conférence interarabe, comme ce fut le cas à Amman. Et c’est par miracle que le Roi Hussein a échappé à la mort. Mais certains de ses Ministres ont été tués. Je vils que vous souriez. Vous vous rappelez certainement de cet attentat. Mais cela n’a pas empêché les représentants des pays arabes réunis à Chtoura. et parmi lesquels se trouvaient les inspirateurs du complot, de pousser l’hypocrisie jusqu’à observer une minute de silence, pour honorer la mémoire des victimes. L’on se souvient que cet attentat a provoqué la mort du chef du gouvernement jordanien. Hazzaâ El Majali, tandis que le souverain n’a dû la vie sauve qu’à son absence du Palais.

Peut-on décemment avoir le: front de se réunir et de se retrouver face à face alors que des haines vivaces continuent à miner le cœur de chacun ? Ces sourdes rancœurs peuvent-elles s’effacer du jour au lendemain ?

Cela n’est possible que si les raisons qui avaient fait naître ces rancunes venaient à disparaître, et dans la mesure où s’estomperaient les tendances hégémoniaques qui, les conditions étant telles, ont détourné les Arabes de toute union.

 

QUESTION. – Je persiste à penser que seuls les rencontres peuvent mettre fin à ces malentendus.

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – Je veux bien l’admettre. Mais encore faudrait-il que le partenaire égyptien fasse la preuve de ses bonnes dispositions. Pourtant rien ne laisse présager un changement d’attitude de la part de Nasser. Celui-ci tient toujours à l’appellation de la République Arabe Unie ; ta ses prétentions au leadership du monde arabe. Il ne veut pas comprendre que son pays a un besoin urgent d’être sauvé de la misère dans laquelle il se débat. La dégradation de la situation économique et la dépendance politique le mettent aux abois. Certes, les pays producteurs de pétrole lui fournissent trimestriellement des fonds pour compenser les revenus du Canal de Suez, mais nous sommes encore loin d’avoir réalisé une atmosphère confiante ! l’Egypte doit renoncer à ses prétentions hégémoniaques. Ne sommes-nous pas tous des Etats indépendants et souverains, fiers chacun de son histoire et de son passé ? La ligue peut être pour nous tous un lieu de rencontre pour y débattre de nos intérêts communs. Mais elle ne peut pas décider de faire du jour au lendemain l’union de peuple, que les vicissitudes de l’histoire ont tenu séparés pendant des siècles, surtout quand il s’agit du Maghreb et du Machrek arabes. Ce n’est pas, parce que Nasser et Kouatly ont décidé un jour de fonder entre l’Egypte et la Syrie une union sans lendemain, ou parce que la République Arabe Unie s’est substituée à l’Egypte, que ces réalités tangibles peuvent changer. Il faut plusieurs générations pour combler le fossé qui nous sépare et qui est l’œuvre de toutes sortes de facteurs imposés par un passé divergent.­

 

QUESTION. – Ne pensez-vous pas M. le Président, que la gravité de la situation est de nature à accélérer le processus d’union et à imposer la nécessité d’une rencontre ?

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – Nous le souhaitions en effet, et nous pensions nue la défaite allait éloigner du pouvoir l’équipe dirigeante du Caire et en particulier son chef. Mais grande a été notre surprise de constater que la démission de Nasser suivie d’un retour rapide au pouvoir n’était qu’une comédie, et qu’il ne s’agissait que d’une fausse sortie. Cependant rien n’a été changé à sa politique agressive d’intimidation. Incorrigible, il continue à se prononcer en faveur des solutions de force.

 

QUESTION. – M. le Président dois-je rappeler à votre attention que la réunion au sommet qui s’était tenue était l’expression d’un désir de rencontre, mais cette conférence n’a pas eu le retentissement souhaité dans le monde arabe ?

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – Cela est exact, et je viens de vous en indiquer les raisons. Dans le monde arabe en effet, certains pays prétendent, en vertu d’une décision unilatérale, assumer des responsabilités qui appartiennent à d’autres Etats. En cas de non acquiescement de la part de ces derniers, il n’y a pas d’injures assez infamantes pour stigmatiser leur rébellion. Pour abattre leur régime, on ne recule pas devant le meurtre.

Telle était l’atmosphère de suspicion qui régnait dans le monde arabe quelques semaines avant la conférence au Sommet. La veille de la guerre avec Israël, le Roi Hussein de Jordanie était toujours abreuvé d’injures. On le faisait passer pour plus dangereux que les sionistes. Mais à l’heure du péril, le souverain jordanien et son pays ont su résister et se battre héroïquement mieux que ne l’ont fait les Etats dits progressistes.

Le Roi Hussein, par son courage a sauvé l’honneur des Arabes, contrairement aux Atassi et Zouayen.

 

QUESTION. – Pensez-vous qu’une certaine évolution s’est manifestée dans l’opinion mondiale, vis-à-vis de la question palestinienne ? Dans l’affirmative quels sont les mobiles de cette évolution et par quels moyens devons-nous en raffermir les aspects positifs ?

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – Je pense que la question palestinienne a pris aujourd’hui une nouvelle orientation qui laisse bien augurer de l’avenir. Les Palestiniens ont en effet, pris en main la responsabilité du combat qui doit libérer leur pays. Que ne l’auraient-ils pas fait plus tôt !

Jusqu’en 1948, je ne croyais pas les organisations terroristes juives, telles que l’Irgoun, capables de battre et de défaire les armées de sept pays arabes, quelle que fut la faiblesse de ces dernières. Les Palestiniens semblent aujourd’hui avoir emprunté à ces organisations leurs méthodes de combat. La guérilla est, pour les peuples faibles et sous-développés, le seul moyen de triompher d’un ennemi plus fort, et mieux armé. Cette tactique, même si elle ne vient pas à bout de l’adversaire, finit toujours par développer une ‘action déprimante sur son moral et l’amener à composition.

La Tunisie a expérimenté avec succès cette méthode qui l’a conduite, d’étape en étape, à la victoire finale. Nous ne prétendons pas pour autant avoir vaincu militairement la France. La même méthode, appliquée à la Palestine, peut entraîner les mêmes résultats heureux. Cependant la réussite finale reste subordonnée à une double condition : d’abord réaliser l’union de toutes les organisations de résistance et ensuite les soumettre à l’autorité d’un chef prestigieux, unanimement respecté et disposant d’une certaine marge de manœuvre. Toutefois les organisations de résistance doivent toujours éviter les solutions extrêmes dans la définition de leurs objectifs. Ils seraient présomptueux s’ils se proposaient de jeter les juifs à la mer d’un seul coup. Quoi qu’il en soit, les Palestiniens sont aujourd’hui responsables du destin de leur pays. Cet élément nouveau est important et il appartient à présent aux seuls Palestiniens, à travers leurs différentes organisations politiques et militaires, de fixer la voie à suivre et qui leur convient le mieux.

Nous sommes disposés, quant à nous, à les ‘aider comme nous l’avons fait pour les Algériens et les Libyens, et il est certain qu’un peuple qui se bat pour sa liberté et sa patrie force toujours la sympathie et l’admiration de l’humanité entière.

Quel sera le sort du peuple juif installé en Palestine et qui continue à jouir de l’appui de l’opinion mondiale ? Je pense qu’à la longue un compromis sera trouvé qui, sans pour autant rejeter les juifs à la mer, ne privera pas éternellement les Arabes d’une patrie à laquelle ils ont droit. Ce qu’il faut souligner c’est que pour la première fois le problème palestinien se trouve posé dans ses termes réels. Jusqu’ici il était englué dans les équivoques et les miasmes de la surenchère.

 

QUESTION. – Les décisions prises récemment au Caire par le Congrès Palestinien permettent de bien augurer de l’avenir quant à la poursuite de l’action des commandos. Mais cette action pose le problème de la responsabilité des Etats arabes en ce qui concerne l’appui qu’ils doivent aux « fidayians » sur les plans intérieur et extérieur. Il n’est pas inutile de rappeler dans cet ordre d’idées, que la Jordanie a organisé récemment à Londres une semaine consacrée aux réfugiés et a envoyé à la capitale anglaise deux familles arabes dans le but de susciter l’intérêt du grand public et de gagner sa sympathie aux réfugiés. Ce problème mérite d’obtenir le soutien moral international et l’appui financier des pays arabes. M. le Président a-t-il une opinion personnelle à ce sujet ?

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – Je pense que la propagande à l’extérieur et l’appui matériel de l’intérieur sont indispensables. Mais il importe eu même temps, de nous mettre d’accord sur la position commune à adopter vis-à-vis des Juifs pour les priver d’une arme redoutable : le spectre d’une nouvelle «diaspora» par la faute des Arabes. Car nous devons comprendre une fois pour toutes qu’aucune grande puissance ne saurait envisager, ou accepter une telle perspective pour les Juifs actuellement installés en Palestine. Cette réalité doit s’imposer à nous et cela d’autant plus que nous n’avons pas les moyens de buter les Juifs hors du territoire palestinien. Notre unique ressource est de les soumettre à des opérations de harcèlement et de leur livrer une guerre des nerfs, tout en nous tenant prêts, le cas échéant à accepter des solutions de compromis.

Il s’agit en effet de canaliser, en définitive, vers les Palestiniens, la sympathie dont bénéficient jusqu’ici les Juifs, à cause de la mauvaise conscience de l’Europe à leur égard, à la suite des persécutions dont ils ont été victimes pendant la dernière guerre.

A titre de réparation et pour apaiser leur conscience, les Européens ont cru devoir installer les Juifs en Palestine. Les faits étant ce qu’ils sont, il nous faut, pour aboutir, tenir un langage différent de celui dont nous avons usé jusqu’ici. Loin de proclamer à cor et à cri que nous voulons détruire Israël, nous devons au contraire présenter le drame palestinien, comme la conséquence d’une entreprise colonialiste et faire appel aux sentiments anti-impérialistes qui animent les peuples pour les gagner à la cause que nous entendons défendre. Nous ne tarderons pas ainsi à donner au problème palestinien ses véritables dimensions. L’injustice faite aux Arabes apparaîtra sous l’aspect de la plus odieuse des entreprises colonialistes de cette deuxième moitié du 20ème siècle. Dès lors notre propagande gagnera en efficacité. Mais il va de soi que nous devons, en même temps que nous menons sans défaillance un combat héroïque, adopter une ligne politique souple qui aura pour effet de priver les Juifs de cette sympathie unanime dont ils bénéficient, parce qu’on croit communément qu’ils sont menacés d’anéantissement ou d’une nouvelle diaspora.

 

QUESTION. – Cet exposé me conduit à vous demander si vous pensez que le problème palestinien sera résolu par les voies pacifiques ou par une action militaire.

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – Je pense que nous n’avons pas les moyens d’entreprendre une guerre classique contre les Israéliens. Nous savons que dans ce genre de combat, il ne suffit pas de disposer d’armements modernes. Mais il faut avoir l’aptitude voulue pour en faire bon usage. Ce ne fut pas le cas pour les Arabes, ni en 1956 ni en 1967. Chaque fois les Israéliens ont enfoncé les lignes arabes sans rencontrer de résistance. Leurs bulletins de victoire citent les mêmes villages conquis dans les mêmes conditions lors de la première et de la seconde campagne. Les méthodes employées et les chemins suivis par leurs troupes sont identiques dans l’un et l’autre cas. Familiarisés avec les procédés de la guerre éclair, grâce à leur passage dans les armées alliées de l’Est et de l’Ouest, les israéliens ont vite fait de battre leurs adversaires. On sait que lors de la dernière guerre mondiale ni la France, r i la Pologne n’avaient pu résister longtemps aux assauts des Allemands, qui avaient mis à l’honneur cette nouvelle forme de combat. Les Arabes ne pouvaient pas mieux se comporter. Les Israéliens étaient donc de loin techniquement supérieurs et ils doivent cet avantage à la longue expérience de leurs cadres militaires.

Un simple détail, m’a révélé l’ampleur de l’avance technique des armées israéliennes sur celles des Arabes. A la suite de la prise de position de Moscou en faveur des Arabes, cinq cents officiers israéliens ont renvoyé aux autorités soviétiques leurs décorations. Ces cinq cents officiers avaient donc combattu dans les rangs des forces communistes et l’art de la guerre moderne n’avait plus de secret pour eux. On ne peut pas en dire autant des officiers arabes.

Pendant la guerre, par haine de l’Angleterre, leur sympathie était allée à Hitler dont ils souhaitaient la victoire. Ce furent les alliés qui gagnèrent la guerre et les Juifs s’étaient trouvés aux côtés des nations victorieuses. Les événements que j’évoque ici ont leur incidence sur la position des grandes puissances en faveur des Juifs. Sans quoi on ne comprendrait pas qu’une cause aussi juste que celle des Arabes de Palestine, ne rencontre à notre grand étonnement, que très peu d’échos auprès de l’opinion internationale.

 

QUESTION. – A propos de « la guerre-éclair », s’il est vrai que les Juifs ont eu l’occasion de s’exercer à ce genre de combat pendant les quarante dernières années, est-il exclu que les Arabes ne puissent pas le faire à leur tour ?

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – Vous admettrez avec moi que rien ne vaut l’apprentissage direct au feu. Les exercices théoriques ne sont pas suffisants. Je n’en veux pour preuve que la double défaite essuyée par les Arabes en 1956 et en 1967.

La Turquie dont les forces armées n’ont pas eu l’occasion de se familiariser avec les méthodes de la guerre-éclair a sauté sur l’occasion, lorsque le conflit de Corée avait été déclenché. Elle a tenu à fournir des unités turques au commandement américain de l’O.N.U., justement pour qu’elles apprennent les méthodes de la « Blitzkrieg » qui impose une coordination parfaite entre toutes les armes. La Tunisie, l’Algérie et le Maroc comptent dans leurs armées quelques officiers rompus à ces méthodes pour les avoir apprises dans les rangs de l’armée française, non pas en 1940 mais lors des campagnes de 1944 et 1945.

Les forces américaines n’ont pas échappé aux effets foudroyants de la guerre éclair et elles ont connu des revers, ici même, en Tunisie, en 1942 et 1943, avant de s’aguerrir.

 

QUESTION. – Les Américains s’entraînent aux méthodes de la guérilla dans leur propre pays.

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – Il s’agit là d’un tout autre problème. Je disais donc que les Américains avaient commencé par subir des revers, avant d’assimiler à leur tour les méthodes de, la guerre-éclair.

Les Arabes, dans leur situation présente, ne peuvent pas prétendre arriver au même résultat. Ils manquent de moyens. La perspective d’une revanche militaire sur Israël est sans doute exaltante. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres.

Reste la solution politique. Celle-ci n’est possible que si elle est appuyée par une action de guérilla et fondée sur une politique souple. Je pense que l’action armée est nécessaire. Cependant, il s’agit moins de faire intervenir les blindés et l’aviation, que d’organiser des opérations de harcèlement, sans répit, pendant de longues et nombreuses années jusqu’à amener l’adversaire à composition, sans pour autant l’acculer à des solutions de désespoir. Il faut laisser au partenaire une issue acceptable qui constituerait pour lui un moindre mal. D’autres étapes plus substantielles peuvent être franchies par la suite. Telle est la solution que je propose.

Mais je ne répéterai jamais assez que le problème concerne uniquement les Palestiniens et leurs dirigeants. S’ils ont acquis une maturité politique suffisante, s’ils font preuve de lucidité et sont animés d’une volonté inébranlable de gagner cette longue et dure bataille, je suis sûr que la victoire nous appartiendra en fin de compte et que notre cause commune connaîtra un triomphe éclatant. Par contre les pires dangers nous guettent si nous persistons à suivre les mêmes errements, sans tirer la leçon de nos revers.

 

QUESTION. – Pour conclure cette interview, je voudrais vous poser quelques questions sur la Tunisie. Nous savons qu’il n’existe dans votre pays qu’un parti unique : le Parti Socialiste Destourien. Existe-t-il une opposition au sein de ce Parti. A-t-on l’intention de laisser se constituer un ou plusieurs autres partis d’opposition en Tunisie ?

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – A vrai dire, nous n’avons pas la même conception de l’opposition. Selon vous celle-ci grouperait des personnes qui seraient toujours contre toute décision prise par le Gouvernement. La situation en Tunisie est tout autre. En effet, dans ce pays le Gouvernement et le Parti sont les deux émanations d’un même pouvoir dont l’ambition est le bien du peuple. Une fois l’indépendance acquise et le pays libéré du colonialisme, nous nous sommes attachés à œuvrer pour lui assurer la prospérité et à sa population, le relèvement de son niveau de vie.

Les voies et moyens sont multiples pour atteindre de tels objectifs. Nous pouvons ne pas partager les mêmes opinions et apprécier différemment les moyens mis en œuvre çà et là à l’étranger, pour atteindre le but recherché. Toutes ces préoccupations font l’objet de discussions au sein et en dehors du Parti.

Les moindres détails de notre politique donnent lieu à des échanges de vue avec la base. Los questions de politique étrangère aussi bien que la réforme agraire ou la nationalisation des terres peuvent être librement débattues. L’opposition n’est pas un but en soi. Le Gouvernement à nos yeux est l’instrument de la réalisation d’une politique.

 

QUESTION. – M. le Président, J’entends par opposition, celle qui est politiquement mure et qui vise l’intérêt général et non celle qui est systématiquement contre le Gouvernement en place.

 

LE PRESIDENT BOURGUIBA. – Cette opposition politique dont vous parlez et dont on connaît les ravages dans certains pays arabes, couvre sous l’apparence trompeuse de la défense de l’intérêt général des haines tenaces et des désirs inavoués d’écarter les hommes au pouvoir pour se substituer à eux. Pour parvenir à leurs fins et accéder aux postes de commande, les politiciens de l’opposition n’hésitent pas à recourir aux moyens les plus démagogiques et ne se gênent pas pour se chercher des alliés parmi les militaires en vue de renverser les régimes en place. L’opposition ainsi conçue n’est pas légitime à notre avis et ne peut être que néfaste pour les intérêts de la nation. Elle constitue la voie classique que suivent tous les politiciens qui n’ont d’autre but que de démolir leurs adversaires.

 

Le Youssefisme que nous avons connu en Tunisie nous offre une illustration éclatante de ce genre d’opposition. Ben Youssef qui a été notre compagnon de lutte et qui a mené le bon combat à nos côtés avait voulu, par dépit, torpiller notre politique des étapes au moment de notre accession à l’autonomie interne. Il n’a rien trouvé de mieux à faire que de se livrer à la surenchère et d’axer sa propagande sur le vocable séduisant « d’indépendance » qui a un pouvoir fascinant sur les foules. Cette indépendance, il la voulait immédiate. Ainsi Bourguiba se trouvait dépassé avec sa politique des étapes. La tactique oppositionnelle adoptée alors par Salah Ben Youssef ne visait rien d’autre qu’à assouvir une haine personnelle.

Rien de tel n’existe plus dans notre pays. N’ayant jamais prétendu être infaillibles, nous restons toujours accessibles à la discussion, ouverts aux réformes, objectifs dans nos appréciations, toujours animés de bonne volonté et d’intentions pures. Nous pouvons ne pas être d’accord sur les moyens à mettre en œuvre pour atteindre l’objectif. Toutes les discussions et suggestions son, Mais une fois la décision prise, l’application doit suivre sans la moindre hésitation ou réticence. Le Chef de l’Etat assumant la responsabilité du pouvoir exécutif a pour mission de veiller à une saine exécution des options adoptées.

Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas dans le pays des éléments nocifs dont il est vrai, l’audience est pratiquement nulle auprès du peuple. Tant qu’ils limitent leurs cogitations à des cercles restreints dont à eux seuls, ils constituent les membres, nous voulons bien les ignorer. Mais nous n’hésitons pas à sévir contre eux pour les mettre hors d’état de nuire, s’ils venaient à descendre dans la rue pour provoquer de l’agitation ou à constituer des sections locales du parti communiste français ou des sections baâthistes de n’importe quelle obédience, puisque le baâth est une hydre à plusieurs têtes, l’une à Damas, l’autre à Beyrouth et la troisième je ne sais où.

Attelés à la réalisation d’une grande œuvre de rénovation nationale, bénéficiant de l’adhésion spontanée et unanime de notre peuple qui connaît le dévouement et l’honnêteté morale et matérielle de ses dirigeants, et sait que leur esprit de compréhension n’a d’égal que leur dévouement à la chose publique, nous ne pouvons tolérer les abus criminels de tels énergumènes.

La stabilité dont bénéficie notre régime n’a pas pour origine une oppression quelconque ou une police omnipotente. Tous les citoyens de ce pays se sentent associés à la réalisation d’objectifs communs, pour la détermination desquels ils sont toujours consultés. C’est ainsi que tous les plans économiques mis en œuvre, ont été élaborés avec la participation de tous les intéressés. Dans l’enthousiasme et la confiance, tout le monde collabore à l’œuvre commune. Le Pouvoir respecte les citoyens et il en est respecté. Il doit le crédit dont il jouit à la pureté des intentions des responsables qui dirigent le pays, à leur passé prestigieux et sans tâche et à leur dévouement. Forts des vertus civiques du peuple, ces responsables peuvent sans crainte proclamer au grand jour ce qu’ils croient être la vérité, ce qui n’est pas le cas pour beaucoup de dirigeants arabes. Ceux-ci bien que partageant dans leur for intérieur les idées de Bourguiba, et parce que se trouvant à la tête de régimes chancelants, gardent un silence prudent, pour ne pas être pris à partie par la « Voix des Arabes ».

Forte de la cohésion de son peuple, la Tunisie, quand à elle, entend opposer un non catégorique à ceux qui voudraient confisquer à leur profit sa liberté de choix.

Ce peuple qui a combattu pendant trente ans le colonialisme français n’est pas disposé à se laisser museler.

Cette position de principe adoptée par la Tunisie illustre de la façon la plus éclatante la différence fondamentale qui existe entre l’opposition politique négative, partisane et destructive, et le dialogue constructif qui se propose la réalisation d’un objectif commun.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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