Mendes France à Tunis

Mendes joue deux parties avec le bey, avec Edgar Faure

Tunis a vécu 24 heures dans une atmosphère de coup d’Etat

Le capitaine Esclangon, des affaires indigènes, rentrait samedi matin d’une longue patrouille le long de la frontière de Tripolitaine. Lorsqu’il arriva, suivi de ses quatre goumiers, à son poste de ben-Gardan, un télégramme officiel l’attendait :

« De résidence Tunis à tous postes A.I. Stop Flash Général commandant supérieur des troupes de Tunisie a été nommé au poste de résident général Stop . il cumulera les deux fonctions Stop Premier ministre Mendès-France accompagné de M. Christian Fouchet et maréchal Juin sont attendus ce matin 10h.30 Tunis pour prendre contact avec S. Ex. le Bey Stop Resi Gene Stop fin message Stop ».

Depuis la dépêche annonçant la fin de la guerre mondiale, c’était le premier message « flash de la Résidence Générale qui eut été lancé en Tunisie. Il la couvrit instantanément d’un réseau de sensationnel. Du Cap Bon à Tataouine, de l’ile brûlante de Djerba jusqu’à la montagne de Teboursouk, des fermes éparses et tremblantes aux souks grouillants, la nouvelle se propagea en laissant dans son sillage des ondes de crainte, d’espoir et surtout de curiosité. Mendès-France arrivait. Pourquoi ?

A Tunis, on vivait depuis la veille dans une atmosphère de coup d’Etat. Brusquement, toutes les communications avaient été interrompues.

Le téléphone s’était tu, les téléscripteurs des journaux avaient cessé de cliqueter et, pendant une nuit entière, la grande ville a été coupée du monde. Dès 7 heures, le pas cadencé des fantassins, des parachutistes, des gardes mobiles avaient commencé de résonner sur le boulevard Gambetta, le boulevard Jules-ferry et les avenues conduisant à l’aéroport d’El Aouina. Les émissions matinales de Radio-Tunis démentaient formellement le bruit d’une arrivée de M. Mendès France, ce qui constituait pourtant l’explication la plus anodine du déploiement martial. À 9 heures, devant la Résidence, les journalistes enregistraient le même démenti. Ce n’est qu’à 9 h. 20 que la nouvelle fut reconnue. Une heure plus tard, le F.B.B.O.R. d’Air France, partie du Bourget à 5 h. 45, se posait sur le sol tunisien. Un vent violent balayait la piste et le soleil coulait comme du plomb fondu.

D’El Aouina à la Résidence, quatre épaisseurs d’uniformes masquaient la vue. La foule était clairsemée, européenne en majorité et hostile environ dans la même proportion. C’était la même population qui, quelques jours plus tôt, avait accueilli à coups de tomates mûres un autre personnage officiel. Les commentaires étaient malveillants et un autre personnage officiel. Les commentaires étaient malveillants et brutaux. Mais l’habileté de Mendès France éclatée dans l’escorte militaire qui avait amené pour cette mission difficile. Juin l’Africain était là : le fils d’un gendarme de Bône, qui a sa terre d’Afrique du Nord dans les nerfs et dans le sang…

Midi avait sonné quand le cortège retraversa Tunis pour se rendre à Carthage, résidence d’été du bey. Le dosage de la foule avait changé et de chaleureuses acclamations tunisiennes saluèrent le visiteur français. À Carthage, la garde beylicale, veuve de son chef assassiné, entre l’étonnant palais de faïence bleue et Sidi Lamine attendait le chef du gouvernement protecteur assis sur l’autre curieux monument incrusté de nacre qu’est son trône. Il se voit pour les présentations, que fit le général de La Tour, Tahar Maoui, chef du protocole, indiqua alors qu’au français des fauteuils dilatoire recouverts en jaune et placés le long du mur. Oui Mendès France lut sa déclaration que l’interprète Samaran traduisit en arabe. Ce fut long, Mendès, la tête baissée, contemplait les fleurs du tapis et, par la fenêtre ouverte sur l’immense chaleur, on entendait le bruit frais de la mer se brisant sur les roches au pied même du palais.

Quand le bey eut répondu –prudemment- des serviteurs vêtus de couleurs éclatantes apportèrent de grands plateaux de sucreries. Un petit brouhaha de thé mondain succéda à un recueillement lourd d’histoire. Le bey y coupa court en frappant dans ses mains un coup sec. Il demanda à Mendès France de se lever, lui passa sur son complet sombre le cordon argent et bleu de l’Ahed El Amane (le pacte de la confiance) et lui remit une montre constellée de brillants qu’on lui disant de la garder en souvenir du déjeuner qu’il aurait voulu partager avec lui. Rien dans l’entrevue ne s’était écarté de formes très cérémonieuses. Mais si une étincelle humaine le Zaïre entre les participants, ce fut alors.

Le programme de la visite se poursuivit à la résidence d’été de la Marsa, si blanche elle blesse les yeux dans le grand soleil. Au déjeuner simple et rapide, dans la salle à manger voûtée et fraîche, Mendès France début que de l’eau de Vittel. Le grand salon récent doit ensuite à une église le jour du samedi saint, Fouchet, Juin, Mendès et même La Tour tenant chacun son confessionnal dans un coin. Le président du conseil s’entretint ensuite avec des Français et des Tunisiens : l’évèque, Mgr Legendre ; le pasteur, M. Kraft ; le chef de la police, Perrier- Robert ; le cheikh de la médina, Chadly Hayder, etc. ces personnalités sortaient une à une, refusant de répondre aux questions des journalistes ou disant que leur position personnelle était trop connue pour qu’il fût nécessaire de l’exposer à nouveau. A 17 heures, le maréchal Juin partit à son tour, et l’on entendit la rumeur des vivats poussés par les Français dans les rues de la Marsa. Deux heures plus tard, il était de retour à Philippeville, l’apurement des vacances qu’il avait interrompues la veille, à la requête de Mendès France, pour assumer un rôle de qui risque d’être le plus discuté de sa carrière.

À l’envoyé de Mendès, Bourguiba répond : « je ne veux pas rentrer en Tunisie »

Selon l’horaire, Mendès France aurait dû décoller à 18 heures. Il s’attarda dans ses consultations et, lorsqu’il fut à El Aouina, un nouveau retard inexpliqué différa encore son envol. À 19 h 40, il passait en revue des troupes harassées d’être sur pied depuis l’aube. À ce moment, la radio tunisienne, diffusée sur les places publiques et dans les cafés maures, proclamait répétait l’énergique avertissement contenu dans son message sa menace d’une rigueur sans ménagement si de nouveaux attentats se produisaient. Mais, à Sousse et sur la G.P.1, une jeep, une camionnette est un half-track essuyaient, ou aller essuyer, des coups de feu, cependant qu’à l’autre extrémité de l’Afrique française, dans ce Maroc si étroitement solidaire des agitations tunisiennes, de brusques convulsions faisaient huit cadavres à Fez et à Casablanca. À 20 h 20 enfin, le DC 4 d’Air France quittait le sol.

L’ombre tunisienne pesait sur le cabinet Mendès depuis sa constitution. En créant un ministère des affaires marocaines et tunisiennes, son chef avait indiqué qu’il se saisirait du double problème suivant un esprit nouveau. Le choix du titulaire surprit et, dans une certaine mesure, rassura : Christian Fouchet, jeune gaulliste dont on entendait les preuves, mais qui avait prononcé, le 6 février 1952, un discours dénonçant Bourguiba et flétrissant le gouvernement du moment qui consacrait, disait-il, « notre déchéance et notre abandon ». Mais Mendès sait que les hommes changent au pouvoir et, par surcroît, il considère ses ministres à responsabilité limitée comme des chargés d’affaires auquel il se substitue au moment des choses sérieuses. Dès Genève, il détourna une partie de son attention sur la Tunisie. Trois jours après Genève, l’assassinat du colonel de La Paillonne donna à la crise une aggravation dramatique. Les 24, 25 et 26 juillet, alors que Mendès était à Marly, pour les 27, 28 et 29, des visites et des émissaires mettaient en présence ou en contact le président, le général Koenig, le ministre Fouchet, résidant Voizard, le député-maire de Constantine René Mayer, ainsi qu’un certain nombre de leaders tunisiens, dont le président du conseil démissionnaire M’Zali et le caïd Naceur Ben Saïd, grand féodal du Sud. Avec le rebelle Bourguiba, transféré de l’île de Groix au château de La Ferté, près de Montargis, aucune conversation officielle ne fut engagée, mais le député socialiste Savary, ami personnel de Mendès France, s’entremit comme sondeur. Il rapporta d’ailleurs la conviction que Bourguiba, pour des raisons obscures, ne tenait pas à prendre le pouvoir en Tunisie, ni même à y rentrer.

À ce moment, la mise au point du projet économique, délicate en raison de la querelle entre Edgar Faure et Mendès France, occupait encore de premier plan. Le conseil des ministres du jeudi 29 entérina le compromis consécutif à la bataille des deux présidents et leurs experts. On était sur le point de lever la séance, avec la satisfaction du devoir accompli, quand Mendès France, comme s’il se parlait à lui-même, murmura : « Il reste la Tunisie. »

Les vingt-six ministres et secrétaires d’Etat s’immobilisèrent sur leurs sièges pendant que leur chef de file ajoutait : « J’envisage d’aller à Tunis avec le maréchal Juin. » Mais l’intérêt naissant fut coupé net par une autre petite phrase e Mendès : « Nous verrons cela demain ». En sortant de la salle du Conseil, il prit le bras de Fouchet et l’entraîna.

L’alerte était déjà donnée dans les milieux politiques. René Mayer et surtout Antoine Colonna, sénateur de Tunisie, rendaient compte de leurs entretiens avec Mondès-France en disant qu’ils avaient trouvé celui-ci prêt à tous les apaisements, minimisant les fellaghas, majorisant les fellaghas, majorisant le contre-terrorisme, disposé à reconsidérer jusqu’aux pouvoirs de police que les Français du protectorat estiment indispensables à l’ordre public. Rue de Valois et rue de Solférino, les radicaux et les gaullistes, poutres maîtresses du ministère, rivalisaient de critiques.

Au palais-Bourbon, Jean Médecin, maire de Nice, fondait un groupe France-Tunisie, cependant que Soustelle, au nom-dit-on- du général de Gaulle, entrait en communication téléphonique avec Mendès. « Bravo, lui disait-il, pour l’Indochine, où vous avez sauvé tout ce qui pouvait l’être. Mais les nationalistes de Tunisie ne pourront qu’être intransigeants en face de l’homme qui a cédé devant un autre nationalisme. Retirez-vous et réservez-vous pour l’avenir ».

L’avenir, Mendès-France l’évoquait de son côté en disant à une délégation de l’A.R.S. qu’il voulait faire du neuf et non raccommoder du vieux.

Lorsqu’n lui demanda ce qui se passerait si l’Assemblée constituante tunisienne déposait le bey et proclamait la république, il répondit que la France n’aurait pas à intervenir dans cette affaire intérieure et qu’elle modifierait plutôt le traité du Bardo pour l’adapter au changement de régime. Et lorsqu’on s’enquit de ce qu’il complait faire pour assurer le respect des conventions à venir, il répondit qu’il avait pour cela un plan secret.

Contre le gouvernement, le général Koenig déclenche l’offensive-démission

Le conseil des ministres du vendredi 30 Juillet n’en finit pas de s’ouvrir. Réunis au ministère de la défense nationale, membres gaullistes discutaient de leur attitude et bourraient d’arguments el général Koenig qui devait être leur porte-parole. La moindre de leurs exigences était de reporter l’octroi de l’autonomie intérieure à la suite de conventions qui devaient garantir à la France ses droits diplomatico- militaires et aux Français de Tunisie leurs droits économico-individuels. Le débat, cependant dépassait cette question chronologique et touchait  à la présence française en Afrique du Nord. Ce que Mendès voulait faire, dans les circonstances de contrainte où il se trouvait, pouvait déclencher du golfe de Gabès au golfe d’Agadir l’enchainement des abandons et l’automatisme des surenchères. Il était dur pour des passionnés de la grandeur française, de s’associer à ce risque. L’éventualité d’une démission collective – dont des journaux anglais devaient se faire l’écho –  fut envisagé et jamais le boulet du pouvoir ne pesa plus lourd.

La longueur du conseil rendit concrète la largeur du fossé séparant les membres du gouvernement. Prévu pour 14h.30, il commença à 16h.30 et ne s’acheva que cinq heures plus tard. Ce fut d’ailleurs un spectacle coupé, des ministres arrivant pendant que d’autres s’en allaient et la discussion se fractionnant quelquefois en conciliabules poursuivis jusque dans les allées du jardin. Côté cour, cependant, l’Elysée avait l’aspect particulier des jours de grandes décisions, avec l’alignement des 15 CV ministérielles, les discussions des chauffeurs et l’ennui décoratif des gardes républicains.

Le détail des réformes énumérées par Mendès-France provoqua la première échauffourée. Mendès payait d’audace, octroyait tout de suite l’autonomie, en comptant uniquement sur la persuasion et la raison pour maintenir en Tunisie la France et les Français. Lorsqu’il annonça que la police passerait au gouvernement tunisien – donc au Néo-Destour.

Les conjurés du ministère de la Défense nationale explosèrent. Koenig suivi par ses cadets, offrit sa démission, à quoi Mendès-France répondit qu’il se démettrait lui-même instantanément entre les mains du président René Coty. Un instant, le ministère fut brisé ; mais une suspension de séance et des colloques autour de la pièce d’eau le recollèrent. Les gaullistes acceptèret de rester contre la nomination du général Boyer de la Tour à la résidence et l’envoi de 6.000 hommes de renfort.

Cette escarmouche avait épuisé la dialectique du général Koenig, mais Bourgès- Maunoury et Chaban Delmas, jeunes l’un et l’autre, combattirent pied à pied dans la question des conventions. Ils arrachèrent la phrase : « Aussitôt après la signature des conventions qui doivent se présenter comme des modifications au traité du Bardo. La France conservera des bases militaires permanentes, ainsi que la direction de la politique étrangère, la Tunisie s’interdisant explicitement le recours à l’O.N.U.

La discussion s’aigrit à nouveau sur la question du voyage de Mendes-France à Tunis. Amoureux de l’action rapide, il insistait sur le choc psychologique que produirait sa visite au bey. Radicaux et gaullistes exprimèrent leurs craintes pour la dignité de la France et appréhendèrent l’ébranlement qui pourrait se propager dans toute l’Afrique du Nord. A la fin, le président parut céder. L’avion qui l’attendait au Bourget pour l’emporter à l’issue du conseil fut décommandé. Mais Mendès-France revint à la charge, prenant à part Koenig qui chancelait de fatigue, Chaban et Fouchet. Au début de la nuit, il réitéra ses efforts ; il convoqua chez lui ses ministres gaullistes et réussit à fléchir leur opposition. Le matin, à 5 h.30, son avion décollait vers le soleil levant, pour revenir avant que l’aurore n’ait eu le temps de recolorer le ciel.

Au Maroc, on interroge : Retour de l’ancien sultan ? Le Glaoui répond : « Jamais »

En Tunisie, les Français avaient d’abord été atterrés. La nouvelle que l’ « Athos D » débarquait à Bizerte 2.500 soldats de la 14e D.I. et la « Kairouan » partait de Marseille avec 900 autres hommes de troupe, amena une certaine détente en dissipant l’impression que la métropole abandonnait ses enfants. Le pessimisme et la colère restaient cependant la note dominante : « Mendes-France, déclara Pierre Boitard, conseiller municipal de Tunis, a liquidé l’œuvre de Jules Ferry. » D’autres firent remarquer que le programme en sept points énoncé par Bourguiba en 1950 allait se trouver intégralement réalisé et que les français ne seraient plus désormais que des étrangers résidant dans une Tunisie qu’ils ont tirée de la barbarie par leur labeur. Le mot d’ordre « Canada ! » jaillit dans des réunions improvisées. C’est par ce cri que des colons avaient protesté récemment contre le résident général Voizard qui refusait de les recevoir. « La France, disent les plus échauffés, se détache de nous ; détachons-nous d’elle et, comme les Américains au XVIIIe siècle, proclamons notre indépendance dans une fédération groupant tous les français d’Afrique du Nord. » Chimère dont la popularité mesure la douleur des cœurs et l’exaltation des esprits.

Les réactions arabes n’étaient pas moins intéressantes que celles des Français. Bourguiba, poète de l’insoumission et qui se complait dans le martyre bénin de son exil, déclara aussitôt que les réformes apportées en avion par Mendes-France constituaient une étape importante, mais que l’indépendance restait l’idéal du peuple tunisien. Son émule et rival, Salah Ben Youssef, secrétaire général du Néo-Destour, arrivait au même moment à Genève, simple halte dans le périple perpétuel qu’il accomplit autour du monde pour faire lever des animosités contre la France et réclamer l’indépendance de la Tunisie.

Interrogé à sa descente d’avion, il refusa d’exprimer une opinion sur le voyage de Mendes-France et courut s’enfermer dans une petite chambre de l’hôtel Métropole, encore tout chaud de la présence de la délégation soviétique à la conférence d’Extrême –Orient. Mais l’opinion de Ben Youssef est trop notoire pour qu’il ait besoin de l’exprimer et elle se reflète en Tunisie dans les journaux du Néo-Destour. « La France, écrit « Saot El Arab » (la voix des Arabes), en demandant aux fellaghas de poursuivre leur combat, s’incline devant la force, mais si la France était sincère, elle ne débarquerait pas de nouvelles troupes et ne nommerait pas un général comme résident. » Malgré ce genre d’appel, une détente était manifeste en Tunisie. Les attentats cessèrent et, pour la première fois depuis des mos, l’activité politique se limita à la recherche fiévreuse par le bey d’un président du conseil.

Mais l’effervescence s’était déplacée. Elle battait maintenant les murailles des vieilles villes marocaines, avant tout celles de Fez, foyer d’intrigues, brûlot de passion. L’approche d’une grande fête –l’Aïd el Kebir – et d’un lourd anniversaire – la déposition du sultan Mohamed V Ben Yussef – provoquait une formidable éclosion de menaces. Des pétitions circulaient, des milliers de tracts inondaient les médinas, des proclamations incendiaires recouvraient les murs et des flots de condamnations à mort parvenaient par la poste aux notables et aux Français. Puis la fantastique télégraphie musulmane, cette diffusion verbale instantanée des nouvelles vraies ou fausses, entra en action. Le bruit courut dans les villes chérifiennes que Sidi Mohamed, le sultan légitime de l’Istiklal, était rentré au Maroc, pendant que l’usurpateur Ben Arfa s’enfuyait. D’où les mouvements de foule, les troubles, les répressions, le sang.

En fait, le vieux sultan Moulay Ben Arafa reste calme et silencieux dans son palais, résistant aux conseils d’abdication. La situation est à l’inverse de l’août dernier, qui vit le bled marcher sur les villes pour déposer un souverain haï des tribus et des caïds. Aujourd’hui, le bled est calme et les villes ont l’offensive. Mais les caïds se concertent à la suite des bruits relatifs à la restauration de Mohamed. Le Glaoui, crispé et outragé, n’a eu qu’un seul mot : « jamais. » ce qui menace le Maroc, c’est sa compagne séculaire, la guerre civile, que le régime Français avait fait oublier. Et les évènements de Tunisie, exaltants pour les uns, déroulants pour les autres, attisent toutes les passions.

Le danger terrible et la contagion. Techniquement, M. Mendes-France peut faire valoir qu’il n’a pas apporté à la Tunisie beaucoup plus que les gouvernements précédents ne lui avaient promis. Politiquement, il peut soutenir   qu’il n’était pas possible de s’accrocher au statu quo en présence d’une situation dans laquelle la répression était sans cesse devancée et submergée par les progrès de l’insurrection. Mais l’Afrique musulmane est de l’amadou. La forme même de l’action de Mendès- France, cette visite rapide, spectaculaire, dramatique, risque elle-même d’être un danger en raison des imaginations qu’elle surexcite et des remous qu’elle suscite. Les hommes responsables de l’Afrique du Nord sont inquiets. Mais c’est le prix de toute intervention à chaud, avec ses nécessités, ses risques et ses chances.

Raymond Cartier

Paris Match N°280

7 au 14 août 1954

 

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