Les seules victimes : Guy Sitbon

Les seules victimes

Par Guy Sitbon

 

Si vous avez entre vingt et quarante ans et si le sort vous a fait naitre en Afrique du Nord, vous devez envisager comme une éventualité très probable de ne pas mourir dans votre lit mais sur un champ de bataille, abattu par une arme de guerre. On peut être lucide, on peut être froid et efficace et on l’est aussi souvent qu’à son tour dans nos pays, on peut être tout cela et ne pas parvenir à juger ce phénomène comme une « chose normale ».

Je sais bien ! On nous l’aura répété cent fois pendant cette crise de Bizerte : quand on fait de la politique, il faut savoir envisager la guerre, et quand on fait la guerre il ne faut pas être « sentimental ». Que ce jeune lieutenant de l’armée tunisienne soit mort des suites de ses blessures dans la nuit de lundi à l’hôpital Charles Nicolle, eh bien ! il fallait s’y attendre. Ni vous ni moi ne lui avons conseillé de faire le métier qu’il a choisi.

Mais ce lieutenant, je l’ai connu. Sanglé de bandage qui lui enserraient le corps, presque chaque jour il passait sur la table d’opération. Son visage ne pouvait plus rien exprimer, mais lui ne cessait de parler dans des hoquets presque langoureux et c’est dans ses yeux, toujours brûlants de fièvre, et dans ses mains qui s’étendaient vers mois pour me saisir et ne plus me lâcher qu’il fallait comprendre.

Son visage d’enfant trompait. Il avait certainement plus de vingt ans, ce lieutenant qui voulait raconter à tout le monde, malgré ses plaies tiraillantes qui lui perçaient l’abdomen, son enfance, sa vie… sa bataille, sa mort. Aujourd’hui, ça n’en fait qu’un de plus, n’est-ce-pas?

De même Si Mohammed, le colonel de la Willaya mort dans la nuit qui suivit à Bilida, sous les mêmes balles, ne fait qu’ajouter un nom sur une liste qui n’est pas tenue et où ceux qui n’ont pas de noms sont plus nombreux.

Lui aussi choisi. Il savait qu’il avait fort peu de chances de survivre à la guerre malgré les trêves unilatérales et réaffirmées. Ni le Général de Gaulle, ni Ferhat Abbas, ni vous ni moi, ne lui avons demandé de prendre le maquis, d’en devenir le chef de plus prestigieux. Pour lui aussi, nous dit-on, il ne faut surtout pas être « sentimental » : on perdait beaucoup d’autres choses bien sûr, très importantes. Et puis, après tout, il y a sept ans, dix ans qu’on meurt sous les balles, de tous les côtés, en Afrique du Nord et il serait bien singulier de s’en émouvoir aujourd’hui. Ce qu’il faut c’est parvenir aux solutions, aux bonnes solutions politiques.

Tout cela est vrai, et pourtant malgré ces dix ans de guerre je n’ai pas su m’accoutumer à la stupide atrocité. Je vais même aggraver mon cas. Pour tout vous dire, je ne comprends pas, je ne veux plus comprendre.

Qui pourra m’expliquer que le destin implacable d’une peuple est d’enregistrer chaque jour, depuis dix ans, une ou plusieurs tonnes de cadavres. Ce ne sont pas tous les meilleurs, mais les meilleurs sont certainement parmi eux. Interrogez donc les « renseignés », ceux qui savent tout sur les morts, qui les comptent depuis dix ans – avec la marge d’erreur d’usage, excusez les – demander-leur vous apprendrez que depuis l’année dernière tous les cadres de willaya, tous les chefs de zone – ils disent bien tous – ont été anéantis dans la guerre.

Combien de temps encore faudra-t-il tenir cette sinistre comptabilité aux yeux d’un de qui ne voit plus. Combien de temps allons-nous être « intelligents », « politiques », complices devant ces cadavres qui s’allongent indéfiniment les informés nous informeront. Ils nous disent que n’importe quelle « grande puissance » aurait fait comme la France et aurait établi les liaisons » ce jeudi-là à Bizerte base est importante à la veille de la ….. Berlin. Ainsi avec l’approbation de tous les intelligents du monde, on aura démontré que Bizertins seront probablement les seuls qui vont mourir pour les tampons de Berlin. L’Algérie est de même des difficultés à résoudre, qu’il risque d’un putsch si… et vous serra convaincu que les Algériens auront été les seules victimes de guerre civile en France.

Toutes les doctrines qu’on nous propose, toutes les analyses que nous suggère ne me feront pas comprendre cette incohérente inextricable. A Bizerte trois P.M. gicler leurs balles vers un …. et d’abattre le samedi de la bataille, ce qui écrase un moustique. C’est vrai, je ne voulait s’enfuir. Toutes les convention …. doivent, je suppose, approuver les.. Tous les compétents expliqueront d’autres faute originelle est d’avoir voulu ….. base. Mais moi je ne sais pas encore tué. Trois salauds ? le colonialisme ? la trois militaires qui faisaient leur travail …… qu’un jour vienne nous accuser d’avoir participé au meurtre.

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